L'étiquette est l'ensemble des formes cérémonieuses qui marquent les rapports entre les particuliers et qui constituent les règles de comportement et de bienséance à observer dans un cadre donné comme par exemple: la cour d'un monarque, un lieu de culte, une célébration, quelle soit profane ou religieuse, sociale ou privée. Voilà pour ce qui est de sa définition formelle et académique. Il est important de préciser que l'étiquette est en rapport aussi bien avec la structure du groupe ou de la société qui l'a instituée qu'avec son histoire et qu'elle implique nécessairement une expérience existentielle. Mais, comme chacun aura pu le constater, plusieurs scénarios peuvent coexister dans une même culture.
Dans la culture japonaise, il existe plusieurs termes concernant l'étiquette, savoir: REISHIKI, REIHO, REIGI, REIGI SAHO.
Tous ces termes sont composés de l'idéogramme REI qui signifie littéralement: salut, salutations.
SHIKI signifie "cérémonie". REISHIKI pourrait donc se traduire par "le cérémonial".
HO signifie "loi". REIHO serait donc "l'étiquette" proprement dite puisque s'agissant des lois régissant le "salut".
REIGI est le terme utilisé par N. Tamura dans son livre: "AIKIDO - étiquette et transmission":
"REI se traduit simplement par salut. Mais il englobe également les notions de politesse, courtoisie, hiérarchie, respect, gratitude. REIGI (l'étiquette) est l'expression du respect mutuel à l'intérieur de la société. On peut aussi le comprendre comme le moyen de connaître sa position vis à vis de l'autre. On peut donc dire que c'est le moyen de prendre conscience de sa position.
Le caractère REI est composé de 2 éléments: SHIMESU et YUTAKA.
shimesu: l'esprit divin descendu habité l'autel
yutaka: la montagne et le vase sacrificiel de bois qui contient la nourriture: deux épis de riz, le récipient débordant de nourriture, l'abondance.
Ces deux éléments réunis donnent l'idée d'un autel abondamment pourvu d'offrandes de nourriture, devant lequel on attend la descente du divin… la célébration.
GI: l'homme et l'ordre. Désigne ce qui est ordre et qui constitue un modèle.
REIGI est donc à l'origine ce qui gouverne la célébration du sacré. Il est probable que ce sens se soit ensuite étendu aux relations humaines lorsqu'il a fallu instaurer le cérémonial qui régissait les relations hiérarchiques entre les hommes."
REIGI SAHO pourrait être traduit par: "les règles de l'étiquette", ce qui correspond au sens donné par les dictionnaires occidentaux.
De façon plus pragmatique, l'on peut dire que l'étiquette constitue un code dont la signification ne peut être perçue que par les initiés, c'est à dire par ceux qui ont acquis les premiers éléments dans la connaissance ou/et la pratique d'une science, d'un art ou d'une pratique donnée. Ce code est la marque d'un groupe particulier ou d'une relation particulière. L'étiquette introduit le novice à la fois dans la communauté des pratiquants (shugyo-sha) et dans le monde des valeurs spirituelles. Elle lui apprend les comportements et l'histoire du groupe, mais aussi ses mythes et ses traditions. L'étiquette raconte pourquoi les choses sont ce qu'elles sont et comment elles nous sont parvenues. Elle raconte l'histoire de tous les évènements qui ont contribué à faire de l'art que l'on pratique ce qu'il est aujourd'hui. Il importe donc de la conserver soigneusement et de la transmettre intacte aux nouvelles générations de pratiquants.
L'étiquette est constituée d'un ensemble de gestes non utilitaires, non pas qu'ils ne servent à rien, mais plutôt que l'on peut s'en passer. Ce geste n'est matériellement pas rentable et peut même être considéré par certains comme une perte de temps. Son but n'est pas dans l'efficacité immédiate. Il n'est donc pas spontané comme ceux que l'on a constamment dans la vie courante, sans même devoir y penser. Il réclame "vigilance" de la part de celui qui l'exécute et, en ce sens, contribue à développer chez le pratiquant le ZANSHIN (littéralement traduit: l'esprit rémanent ou la présence - ici et maintenant - d'esprit).
Sa raison d'être ne se situe donc ni dans son utilité, ni dans sa rentabilité, mais dans la gratuité de ce qu'il induit. Il met en jeu une partie du corps (dont notamment les cinq sens) pour permettre à celui qui l'exécute de rassembler (du grec sumballein (assembler) qui dérive de sumbolon: symbole) son esprit à ce qui échappe à ses sens.
Pour qu'une chose soit bien faite, il faut la faire comme elle a été faite la première fois, s'imprégner de l'état d'esprit qui a prévalu à sa conception et participer ainsi à sa perpétuation. La répétition symbolique du geste implique donc une réactualisation du geste initial et de l'énergie qui l'a créé, avec la même pureté, la même efficience et la même virtualité intacte. En tant que symbole, il est chargé de sens et doit devenir "signe", pour ceux qui le font comme pour ceux qui le voient faire. Il doit être simple, beau, emprunt de sérénité (sans tension ni précipitation), juste et harmonieux.
La répétition rigoureuse du geste rend possible la tabula rasa sur laquelle viendra s'inscrire les révélations successives du pratiquant, de celles qui pourraient lui ouvrir les portes de l'esprit. (En Iai, par exemple, le geste exécuté par la main gauche sur le sageo pour le placer sous le sabre après s'être assis en seiza; ou en Aikido, au moment du salut des adversaires avant taninzu kakari geiko.)
L'étiquette ne vit pas uniquement dans une réalité "immédiate". Sa symbolique pourrait s'exprimer en ces termes: qu'on ne devient un pratiquant véritable que dans la mesure où l'on cesse d'être un homme biologique, mécanique. Elle démontre que le vrai pratiquant - le "spirituel" - n'est pas le résultat d'un processus naturel: il se fait. La "fonction" de l'étiquette pourrait donc être de révéler symboliquement au pratiquant le sens profond de l'existence et de l'aider à assumer sa responsabilité d'être un "Homme Totale", pour ainsi participer à l'évolution spirituelle de l'humanité.
En étudiant et en respectant l'étiquette, on ne perdra pas de vue que le but de la recherche est, au fond, la connaissance de l'homme, de soi. Aussi, l'étiquette constitue-t-elle une démarche, une expérience essentielle dans la progression du pratiquant s'il veut pénétrer le message ultime du BUDO, c'est à dire devenir capable d'assumer pleinement son mode d'être.
Mais à bien y regarder, l'étiquette n'est sclérosée qu'en apparence. Et si l'on se contente aujourd'hui d'imiter à l'infini les gestes transmis, on ne peut ignorer les innombrables transformations dont l'étiquette a bénéficié au cours de son histoire.
L'ETIQUETTE - COMMENT?
"Le caractère des hommes ne se montre jamais mieux que dans les choses qui paraissent indifférentes."
(Proverbe du monde)
Il serait prétentieux de vouloir dresser une liste exhaustive de l'ensemble des règles de l'étiquette. De surcroît, certaines de ces règles peuvent différer d'un pays à l'autre, ou plus précisément d'une culture à l'autre. Ainsi, au Japon, il est inconcevable de plier son hakama sur le tatami alors que cette façon de procéder semble avoir été adoptée dans tous les autres pays du globe. L'étiquette, cependant, exige que le pratiquant ne plie pas son hakama dos au kamiza. Cet exemple illustre à quel point les règles de l'étiquette ne sont pas gravées dans la pierre et doivent nécessairement s'adapter, notamment lorsqu'elles sont issues d'une culture différente de la sienne. Si en Aikido les règles de l'étiquette semblent relativement uniformes, il n'en est pas de même de disciplines martiales telles que, par exemple, l'Iai où l'étiquette peut varier d'une école à l'autre au point de paraître contradictoire, notamment la position du sabre lors du salut au kamisa ou au sabre lui-même. Dans un domaine plus religieux, le signe de croix n'est pas exécuté de la même façon par les Catholiques, les orthodoxes, les Protestants, les Nestoriens, les Coptes, les Jacobistes et autres. Mais tous, sans exception, font un signe qui symbolise la croix et la passion du Christ.
Ces différences, en apparence discordantes, démontrent à la fois la diversité et la cohérence de la nature humaine. Elles justifient la multiplicité des formes et confirment l'universalité des principes. A ce stade, il est intéressant de relever l'étrange homonymie entre les mots éthique et étiquette (à tel point qu'il ne serait pas choquant d'écrire "l'éthiquette" de cette façon). En effet, ne concerne-t-elle pas les règles de conduite, la morale?
Il n'est pas dans notre intention d'inventorier et répertorier les multiples règles de l'étiquette martiale à travers les âges et les cultures. L'idée n'est pas inintéressante mais déborde largement le cadre de cet exposé. Elle permettrait en revanche de mesurer à quel point nos comportements sont conditionnés par nos rapports avec l'autre et les divers modes de prévenir les conflits. Mesurer, par exemple, que la prohibition du port d'armes a permis de se saluer en se serrant la main, ce qui était parfaitement inconcevable avant. Comprendre que le geste de trinquer était conditionné par le fait que le mélange des liquides au moment où les verres s'entrechoquaient permettait de s'assurer qu'aucun poison n'avait été versé dans l'un d'entre eux. Ainsi, bon nombre des gestes encore utilisés de nos jours dans nos comportements relationnels étaient à l'origine conditionnés par la nécessité de rester vigilant en toutes circonstances, c'est-à-dire en état d'éveil permanent. A fortiori, cette vigilance s'adressait-elle en premier lieu à ceux qui avaient choisi le métier des armes et pour lesquels la moindre faute d'inattention pouvait être fatale.
Aussi, cet exposé se bornera à énoncer quelques principes de base qui devraient permettre au pratiquant de se repérer et, surtout, de comprendre que l'étiquette est plus affaire de conscience que de connaissance.
Fidèle à la didactique du budo classique japonais, nous proposons d'aborder le "comment?" sous la forme tandoku renshu (travail seul), sotai renshu (travail à deux) et tameshi giri (exercice de coupe) que nous transposons de la façon suivante:
-l'étiquette par rapport à soi-même,
-l'étiquette par rapport aux autres pratiquants et au dojo,
-l'étiquette par rapport à l'autre et à la société.