Article extrait d'aikidoka.fr
Pour René Trognon (7° dan FFAB), l'Aïkido est une affaire de rapports humains. Quoi de plus normal, alors, que d'inviter chez lui élèves et amis pour partager en toute simplicité un cours de ken et une soirée de fête ? Retour sur un « cours particulier »... dans les deux sens de l'expression.
Il y a deux semaines, un camarade de mon club de Nancy, qui étudie également au Dojo de Charmes sous la direction de René Trognon, nous lançait à la fin du cours « René donne un cours d'armes et un dîner chez lui dans quinze jours, il fera la Bolognaise pour tout le monde, si ça vous dit de venir... ». Quelques mois plus tôt, j'avais eu l'occasion de suivre avec avec cet enseignant un trop bref stage d'armes qui m'avait énormément plu, tant par le contenu du cours que par la personnalité de l'homme. Impensable de faire l'impasse sur une occasion pareille ! Rendez-vous était donc pris pour le vendredi en fin d'après-midi. Les droits d'entrée ? Apporter une entrée ou un dessert pour le repas suivant le cours.
Vendredi, 17 heures. Je suis dans un lieu-dit en pleine campagne, à la limite nord des Vosges, un peu intimidé à l'idée de me présenter sans être annoncé chez un des plus hauts gradés de la région, et pas tout à fait sûr de l'endroit : il n'y a qu'une église et une maison à côté. L'arrivée d'une copine du club qui est déjà venue une fois me rassure, c'est bien ici. Dès que nous avons franchi le portail, nous sommes accueillis par les chiens de la maison, puis par René Trognon lui-même, pas le moins du monde étonné de voir débarquer chez lui des pratiquants qu'il ne connaît pour ainsi dire pas. On est immédiatement mis à l'aise par le naturel et la chaleur de son accueil, la discussion s'engage tout à fait naturellement et s'étoffe au fur et à mesure que les autres élèves arrivent : « ce que j'aime dans l'Aïkido, c'est que ça transforme les gens, humainement... C'est à ça que ça sert. Faire un meilleur kote.gaeshi ? On s'en fout ! »
Comme il y a visiblement eu un cafouillage sur l'horaire, on attend un peu que tout le monde arrive. Quand nous expliquons que notre professeur, préparant un week-end chargé, ne pourra sans doute pas venir, René nous met son téléphone dans les mains en nous engageant à l'appeler puis, en personne, se met en devoir de le convaincre : « tu ne dis pas « je vais voir ce que je peux faire », tu dis « d'accord René, je vais venir ». » Pendant ce temps, le salon se remplit peu à peu. Au total nous serons une vingtaine de pratiquants, venus de Charmes, Vittel, Épinal ou Nancy, de tous âges et de tous niveaux, y compris plusieurs des seniors débutants pour qui René développe depuis plusieurs mois une pédagogie spécifique. Beaucoup de visages déjà familiers grâce aux stages et aux passages de grades locaux. On se prépare tranquillement, certains préfèrent tomber le hakama, l'ambiance est familiale, informelle et décontractée. À 18 heures, on sort à l'arrière de la maison pour faire le cours dans le jardin, fraîchement tondu pour l'occasion. Heureusement ce jour-là le soleil était au rendez-vous après une semaine bien maussade.
Le jardin ne comportant pas de kamiza, on salue le soleil : le monde est notre Dojo. Nous commençons par un enchaînement de suburi pour nous échauffer. Shômen-tsuki. On insiste sur l'indispensable relâchement des épaules : « si vous avez mal aux épaules demain, c'est que vous avez mal travaillé. ». On enrichit petit à petit la séquence par des coupes supplémentaires : yoko.guruma (coupe horizontale), yoko.men puis gyaku-yokomen, de bas en haut. René nous demande de soigner le placement des pieds et le mouvement global du corps. Chacun fait de son mieux pour se corriger. Nous continuons par une application de ces suburi en travail à deux. Pour commencer, uke attaque shomen sur la garde légèrement ouverte de tori, qui doit simplement absorber l'attaque et la laisser passer sans s'y opposer, « amorcer une relation avec l'autre ». René insiste sur le besoin d'une attaque claire et franche, sans laquelle aucun travail n'est possible : « visez le bonhomme, pas le sabre ! »
René enguirlande avec gentillesse et bonne humeur deux retardataires qui nous regardent en rigolant, assis en haut du jardin : « on s'en fout que vous ne soyez pas en tenue, vous prenez un ken et vous venez travailler avec nous ! » L'exercice se poursuit par l'ajout d'un second shômen d'uke, auquel on va répondre d'abord par kiri.age, déviant l'attaque d'uke en préparant son propre shômen. Une fois la relation établie, le but est d'« accepter la force du partenaire pour se reconstruire. » On remplace ensuite kiri-age par une entrée irimi accompagnée d'une coupe yoko.guruma ou gyaku-yokomen. On cherche maintenant à travailler le ma-aï, la distance et le timing : la relation à l'Autre, « tisser avec lui un lien intime et infini. »
René passe parmi nous, corrige, encourage ou réexplique patiemment jusqu'à ce que ça rentre - et ça rentre, même chez les grands débutants dont ce n'était pourtant pour certains que le deuxième ou troisième cours de ken. On est au grand air, dans un cadre magnifique, les coups de ken résonnent dans le jour qui tombe, c'est génial. Le temps passe sans qu'on s'en rende compte et déjà l'église voisine carillonne huit heures moins le quart. Nous saluons à nouveau le soleil couchant, puis René nous remercie pour notre présence : « ce lieu, qui est une terre de sources, de forces telluriques et cosmiques, a accueilli des aïkidoka, j'en suis très content. Maintenant, nous allons boire et manger. » Le signal est donné pour le début de la fête.
On partage l'apéritif apporté par les uns et les autres en discutant, et on installe tables et chaises pour la soirée. Il y a effectivement beaucoup à boire et autant à manger : René a préparé des pâtes pour trente personnes « avec beaucoup de basilic et de romarin du jardin » et il y a deux tonnes de desserts. L'ambiance est excellente, ça discute à tout-va. René est aux petits soins pour chacun tout au long de la soirée, fait connaissance avec les nouvelles têtes, accueille à bras ouverts mon professeur quand enfin il arrive. Si l'Aïkido, c'est la relation avec les autres, on est en plein dedans. On cause, on partage, on échange, tout le monde s'amuse beaucoup : c'est ça la vie. Je pars à contrecœur - avant que la fatigue ne soit trop grande pour faire la route en sens inverse - après une longue et chaleureuse poignée de main et quelques derniers mots avec René, lui promettant de revenir le voir très bientôt. Encore un grand merci à lui, ainsi qu'à tous les participants, pour cette fantastique fin de semaine comme on en voudrait plus souvent.