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Point de vue sur l’Aïki-Jo (paraport au Jodo )

article extrait d'aikidoka.fr

Ecrit par Ivan

 

Pascal Krieger est un grand spécialiste du Jodo de l'école Shintô Musô Ryû, cet art martial entièrement dédié au Jo. La pratique du Jo est issue de la pratique du sabre. Nous voulions connaître le regard extérieur que pouvait porter un jodoka sur la pratique de l'Aïki-Jo.

Aïkidoka Magazine : Selon vous, quelles sont les différences que l'on peut constater entre le Jodo et l'Aïki-jo ?
Pascal Krieger : Cela n'a pas grand-chose à voir car les origines ne sont pas les mêmes. Le Jodo a été fondé au 17e siècle par Musô Gonnosuke Katsukichi. C'était un grand sabreur qui avait reçu une licence d'enseignement (menkyo) de l'école Tenshin Shôden Katori Shintô Ryû. Selon la légende, il fut battu en duel par Miyamoto Musashi qui curieusement le laissa vivant. Après une étude dans la montagne (ndlr : dans le sanctuaire de Kamato, sur le Mont Homan, au nord de l'île de Kyushu) et un voyage à travers le pays pour observer de nombreux arts martiaux, il mit au point le jo, une arme ronde et droite d'environ 20 cm plus longue qu'un sabre moyen. Il élabora alors ses techniques à partir de ses connaissances du sabre. Il s'agit donc d'une arme conçue pour l'interaction avec le sabre.

A.M.
: Et pour l'Aïki-jo ?
P. K. : L'Aïki-Jo, que je ne connais pas par expérience, est issu, d'après ce que j'ai lu, de l'étude du maniement de la lance de l'école Hozoin à laquelle Morihei Ueshiba s'est livré lorsqu'il était auprès de son maître Sokaku Takeda. Il avait également appris des techniques de baïonnette du temps où il était soldat. De ces deux pratiques, il a fondé l'Aïki-jo dans le souci de mettre tous les mouvements en relation avec les mouvements à mains nues ou au ken. Le jo en Aïkido est donc d'une part la symbolisation d'une lance, donc d'une arme munie d'une lame qui transperce, et d'autre part l'illustration de principes techniques propres à l'Aïkido . Ce n'est  pas  la pratique du jo en tant que telle. C'est la raison pour laquelle les techniques d'Aïki-jo sont plus limitées, car elles sont accordées avec le principe d'harmonie de l'Aïkido. Le fondateur semble avoir élagué la plupart des techniques qui n'entraient pas dans ce schéma.

A.M.
: Pourtant, l'Aïki-jo semble redoutable dans certains mouvements.
P. K.: Franchement, penser pouvoir arrêter une personne décidée avec le tsuki que je vois bien souvent en Aïki-jo, les deux mains trop en avant, ou les coudes trop hauts, me paraît illusoire, à moins qu'on n'utilise une lance. Au Japon, lors d'une  démonstration (embu), j'ai vu le coup le plus puissant que nous avons au Jodo être porté à plein dans la région abdominale d'un pratiquant. Avec l'adrénaline du embu, la personne n'a pas bronché. C'est pourquoi les techniques du Jodo ne comptaient pas trop sur les frappes pour remporter un combat, mais sur le contrôle des points faibles du corps, notamment l'œil. Bien que certaines frappes du Jodo soient conçues pour écarter un Katana, voire endommager sérieusement la lame.

A.M. : Alors, selon vous comment pourrait-on rendre efficaces les techniques d'Aïki-jo ?
P. K.: Ah ah ah. En remettant une lame au bout du jo, car vos techniques sont faites pour ça.
A.M. : Merci pour ce point de vue sur notre pratique.

 


 

Reponse de Philipe Voarino

En 1987, après avoir enfin découvert l’Aïki-jo à Iwama auprès de Maître Saïto, j’ai décidé d’abandonner la pratique du Jodo Shindo Musô. Que Pascal ne m’en tienne pas rigueur, il fallait que je fasse un choix, ces deux arts sont incompatibles. Et l’Aiki était le chemin que je désirais suivre.
J’ai lu avec intérêt l’interview sur l’Aïki-jo qu’a donnée Pascal Krieger à Aïkidoka Magazine. Intérêt à plus d’un titre. D’abord parce que je suis évidemment concerné par ce qui touche l’Aïkido et donc l’Aïki-jo. Ensuite, parce que je suis d’autant plus attentif à ce qui est dit que la personne qui écrit est à ce jour dans le monde un des très grands maîtres de l’art du Jodo Shindo Muso Ryu, dans la ligne du dernier grand soke, maître Shimizu et de son plus fidèle élève, maître Kaminoda. Enfin, parce qu’il se trouve que cette personne fut mon professeur de Jodo pendant quelques années, à l’époque où, jeune pratiquant, je me promenais dans tous les stages d’Aïkido avec l’espoir d’y apprendre la pratique du jo, sans jamais hélas trouver quiconque qui l’enseignât. J’ai donc, avant de découvrir l’Aïki-jo, eu la chance de pratiquer le Jodo Shindo Muso avec Pascal Krieger (que je salue ici par-delà les années). J’ai également, de manière plus anecdotique, reçu l’enseignement de Shigehiro Matsumura, le professeur de Gérard Blaize et de Jean-Pierre Reniez.

L’insignifiance de mon expérience en Jodo est inversement proportionnelle à celle que j’ai acquise au fil des années en Aïki-jo. Et de ce fait, je ne pense pas être le plus mal placé aujourd’hui pour émettre quelques réserves à l’égard des propos tenus dans cette interview.

Je partage évidemment l’avis de Pascal Krieger quand il explique que le tsuki de l’Aïki-jo serait plus efficace si l’on restituait à l’extrémité du jo la pointe de lance qui lui a été enlevée. Mais au-delà de cette boutade, je pense que Pascal, qui n’a jamais étudié l’Aïki-jo et qui le considère donc de l’extérieur, commet une erreur d’appréciation. Cette erreur, je la comprends d’autant mieux que je l’ai commise personnellement pendant des années, alors même que, contrairement à lui, j’étais investi de la manière la plus sérieuse dans l’étude de l’Aïki-jo.

En effet, s’il semble bien qu’O-Sensei ait étudié la lance Hozoin avec Takeda, il faut se garder de penser que remettre une lame au jo de l’Aïki-jo (et le rallonger d’un mètre ou deux) suffirait à lui restituer le statut d’une lance.

L’Aïki-jo n’est pas l’art de la lance. Je peux en donner une preuve très simple : une bonne partie des mouvements de l’Aïki-jo serait impossible à réaliser avec une véritable lance (hasso gaeshi, katate gedan gaeshi, katate tooma uchi, katate hachi no ji gaeshi, shomen uchikomi, renzoku uchikomi, jodan gaeshi uchi …).

L’Aïki-jo n’est pas davantage l’art du ken puisqu’une partie également des mouvements y serait impossible avec un sabre (choku tsuki, gaeshi tsuki, tsuki gedan gaeshi, hasso gaeshi, katate gedan gaeshi …)

Mais l’Aïki-jo n’est pas non plus l’art du bâton. En effet bien que l’instrument utilisé ressemble de très près à celui de Muso Gonnosuke, les principes d’utilisation en sont radicalement différents. Je ne peux pas ici entrer dans les détails, mais qu’il me suffise de dire ceci : la logique des mouvements d’Aïki-jo tient compte simultanément des quatre directions de l’espace et considère qu’il n’y a pas une seule mais quatre attaques venant de quatre directions différentes au même moment. Ce n’est pas le cas du jodo conçu pour se battre contre un sabre.

Le jo d’O-Sensei n’est donc pas ce qu’il paraît être. C’est une arme hybride en ce sens qu’elle fonctionne tantôt avec les attributs de la lance, tantôt avec les attributs du ken, et tantôt avec les attributs du bâton. Le génie d’O- Sensei est d’être parvenu à ce résultat à la manière d’une synthèse et non pas à la manière d’un assemblage hétéroclite et artificiel de pièces rapportées, de techniques sans lien entre elles, empruntées au sabre, à la lance et au bâton. Dans l’Aïki-jo, les techniques propres à ces trois armes coulent et s’enchaînent au contraire, naissent les unes des autres, et meurent l’instant d’après les unes dans les autres, toutes manifestations de la même essence, et sans jamais qu’aucune ne domine les autres. Un simple morceau de bois, dans les mains d’O-Sensei, est parvenu à unifier trois disciplines martiales jusque-là rivales.

Si l’on perçoit cela, il devient évidemment impossible de dire, comme le fait Pascal Krieger que « les techniques d’Aiki-jo sont plus limitées (que celles du jodo), car elles sont accordées avec le principe d’harmonie de l’Aïkido ». C’est tout l’opposé : c’est justement parce qu’elles sont accordées avec le principe d’harmonie de l’Aïkido que les formes de l’Aïki-jo sont au contraire illimitées. Au lieu de se borner au domaine fini, aussi vaste soit-il d’un art particulier, l’Aïki-jo multiplie tous les possibles nés à l’intersection des différents arts sur lesquels s’étend sa compétence. Le fondateur n’a donc pas « élagué la plupart des techniques qui n’entraient pas dans son schéma ». Il n’a au contraire jamais rien voulu faire entrer dans un moule. Le principe de l’Aïkido n’est pas le résultat du choix arbitraire d’un homme : c’est la complémentarité des contraires, autrement dit le principe même de la vie, celui du yin et du yang. S’il y a schéma, il faut plutôt rechercher celui-ci du côté des créations martiales qui supposent que l’on peut donner aux formes une existence et une réalité indépendantes du principe. Multiplier les formes techniques dans cette dernière perspective c’est accumuler des cadavres et vivre avec eux. C’est ce que font nos fédérations d’Aïkido. Et c’est le même type de danger que la méthode du kata fait courir au Jodo Shindo Musô. O-Sensei n’a rien élagué. O-Sensei s’en est remis au principe. Il a posé son esprit et son cœur au centre du monde, et ce qui a été créé l’a été à partir de là. Rien de ce qui n’a pas été créé ne pouvait l’être. O-Sensei n’a pas choisi ce qui devait être rejeté, il a retenu tout ce que le principe a justifié qu’il retienne, et seulement cela.

Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi j’ai autrefois arrêté le Jodo. L’Aïkido ne se dévoile pas à quiconque n’a pas fait le choix de s’y plonger corps et âme. On n’entre pas dans cet art en conservant un pied à l’extérieur. La connaissance ne peut venir que de l’intérieur. Et de ce point de vue, je terminerai en indiquant que la notion d’irimi a peut-être un sens plus profond que celui qui lui est généralement attribué dans les catalogues techniques d’Aïkido. En effet iru en japonais veut dire entrer, tout comme inito en latin, qui est en même temps le radical du mot initiation.

 

 

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