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Le BUDO


Cette interview de Pascal Krieger et Malcolm T. Shewan a été réalisée par
Robert Faure au cours du stage des Iles en 1987 et a été publiée dans la revue
« SOURCES – l’Aventure Intérieure »
du mois de juillet de la même année.

 

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R.F. Qu’est-ce que le Bushido ? Est-ce un nom japonais qui signifieune technique de combat, une philosophie, un art de vivre ?

Tiki : C’est un terme qui a tendance à se vulgariser ici, en Occident. Àl’origine, c’est essentiellement un code moral chevaleresque qui

comprend des notions de devoir, de fidélité, de loyauté, d’effacement
de soi-même au profit des autres.
L’application de ces règles de vie n’a jamais été réduite à une activité
particulière de la vie japonaise. Elles sont assez générales pour être
employées à tous les secteurs de l’action. Un homme d’affaire
japonais, une mère de famille, un artiste peut respecter un art de
vivre. Le terme BUSHIDO est constitué de trois racines – BU :
noblesse ; SHI : guerre ; DO : la voie. Il peut se traduire par : « la
voie de la noblesse guerrière ». Le concept de Bushido n’a pas
d’époque précise. L’apogée de l’influence de ce Code se situe au 12-13
siècle. Plus tard apparaissent les Samurai, serviteurs de la classe
guerrière. Le Bushido n’est pas à confondre avec l’ensemble des
techniques de combat issues du Japon, que l’on nomme BUDO.
R.F. Que pensez-vous de la prolifération de Dojo, de salles d’Arts
Martiaux, en Occident : des lieux de pratique reliés à un esprit
de compétition, de performance, à un art de dépassement de
nos complexes ?
Tiki : La réponse se divise en deux. Tout d’abord, il y a un certain nombre
de principes culturels, dans le Budo, qui viennent spécifiquement du
Japon. Maintenant, ces vérités culturelles contiennent des valeurs
proprement universelles. Où se trouve la plus grande fidélité ?
Faut-il transmettre des valeurs culturelles liées à l’aventure japonaise
ou faut-il tenter de transcender les questions de race, de culture, de
société ? Toutes les méthodes ont un enracinement culturel très fort
que l’on ne peut négliger. Mais il ne faut peut-être pas oublier que ces
méthodes ont toutes une finalité. Pour moi, il est nécessaire de
respecter la méthode dans la mesure où elle respecte l’être humain.
Je ne pense pas que ce soit en mettant des tapis japonais chez soi et
en mangeant du riz avec des baguettes que ça vous aidera dans la vie.
Mais, inversement, si dans la pratique d’un art, d’une technique de combat,
vous ne persistez pas, vous passez à côté d’éléments-supports
indispensables, de principes de comportement, comme la
concentration, le silence, les protocoles de combat… et vous avez ainsi
laissé la porte ouverte à un changement de l’état d’esprit initial, avec
les risques de dégradation que cela entraîne. Il faut toujours distinguer
entre ce qui est phénomène social, culturel et les principes sousjacents
des méthodes issues de telle ou telle culture, lesquels
dépassent largement le concept de race ou de nation.
Au niveau des Arts Martiaux, il faut conserver et préserver la méthode
exacte, qui a fait ses preuves, sans en perdre la finalité.
Pascal : Prenons un autre exemple : quelle est la vérité qui se cache derrière le
Budo, l’étiquette, le salut,… ? C’est le respect : respect du lieu, respect
de l’arme que l’on utilise. Nous essayons de faire passer ce principe
universel à travers une méthode japonaise. La forme du salut est
japonaise, mais le sens est universel et reste valable pour tout le
monde. À la limite, les Japonais tendent eux-mêmes à oublier
l’universalité de ces principes et pensent qu’ils sont quasi les seuls à
développer ses qualités de noblesse, de respect, de courtoisie.
R.F. Mais pourquoi, dans votre manière d’enseigner les Arts
Martiaux, créer cet environnement qui peut paraître excessif.
On entend des discours un peu crus sur l’art d’éliminer son
adversaire ?
Pascal : Oui, par exemple : « Si vous plantez comme ça votre sabre, vous ne
pouvez pas le ressortir. », ou encore : « Même avec un bras, votre
adversaire peut vous tuer. ».
Dans ces détails qui font un peu charcuterie, il y a des notions très
guerrières. Mais c’est l’emballage qui compte. On emballe ça dans une
étiquette, un respect de l’autre, un travail sur soi-même. Si l’élève s’y
refuse, il souffrira. C’est une ambiance de travail que l’on crée pour
que ces notions qui sont un peu meurtrières ne passent pas du
mauvais côté. Le respect de l’autre dans le combat, l’étiquette permet
de canaliser l’énergie, sans débordement.
R.F. Que pensez-vous de la prolifération des techniques martiales
enseignées aujourd’hui ?
Tiki : Il existe un obstacle dans la transmission des Arts Martiaux. C’est le
mélange de diverses techniques. Quelqu’un qui pratique diverses
disciplines est comme celui qui prend dans ses mains à la fois une
pince, un marteau et un tournevis. Il ne fait rien de bon. Il faut poser
l’un ou l’autre outil et n’en prendre qu’un.
Ce mélange est un frein. Alors qu’une technique doit être abordée
seule 8 à 10 000 fois avant d’être efficace.
R.F. De quelle façon le Budo modifie votre vie quotidienne ?
Tiki : Je prendrai un exemple. Il y a quelques années, j’étais toujours en
retard, partout où j’allais. Un jour, j’ai réalisé, en faisant du Budo, que
tout retard symbolise une mort. J’ai senti que la discipline que je
pratiquais faisait partie du quotidien.
Dès qu’un principe participe concrètement à notre vie consciente, il
devient vivant. Mais c’est la répétition qui permet cette prise de
conscience, peu à peu.
R.F. Et votre pédagogie, comment l’appliquez-vous ?
Pascal : Comme enseignants, nous sommes plutôt des catalyseurs, des
synthétiseurs. J’ai un sentiment de fidélité par rapport aux vieux
maîtres que j’ai connus.
Tiki : … oui, et c’est aussi le temps qui fait l’apprentissage. L’expérience du
temps est irremplaçable. J’aime voir quelqu’un, pas forcément doué,
venir régulièrement à l’entraînement. Et puis le voir évoluer, peu à
peu. Et au bout de dix ans, j’ai envie de lui parler et de lui dire :
« Vous avez fait dix ans de travail, maintenant on va commencer à
échanger autre chose. ».
Pascal : Oui, cette notion d’entraînement (KEIKO) est quelque chose
d’important chez les Japonais. KEI veut dire penser, se souvenir. KO
signifie la Tradition. KEIKO : se remémorer le passé et demeurer fidèle
à l’esprit de la tradition. Ceci suppose une complète adaptation aux
conditions du moment. Qu’il fasse froid ou chaud, que ce soit le matin
ou la nuit, accepter la situation présente telle qu’elle est.
Tiki : De même le mot SENSEI ne veut pas dire « maître » ou
« enseignant ». Mais il désigne « celui qui était là avant moi », donc,
dans le temps, celui qui a parcouru davantage de chemin que moi
débutant.
R.F. Alors justement, quels sont, dans les grandes lignes, les
différents stades d’apprentissage, jusqu’à la totale maturité ?
Pascal : On peut décrire 4 stades principaux : GYO – SHUGYO – JUTSU – DO.
Le stage GYO, c’est l’obéissance aux enseignements reçus, sans tenter
de les interpréter. L’élève accepte d’être en situation de dense
ignorance. Il n’y comprend rien, il ne sait pas du tout pourquoi on lui
fait faire certains mouvements. Il n’a qu’un point de référence : celui
de son maître. On lui demande à la fois de ne pas se poser de
questions, de ne pas réfléchir, et de faire.
C’est la phase d’apprentissage, qui, dans la conception japonaise, est
beaucoup exigeante. Pour apprendre la flûte japonaise, par exemple, il
faut consacrer 3 ans simplement pour arriver à bouger le cou de façon
à produire la modulation d’un son. On se trouve ainsi, au bout de 3
ans, dans la situation où l’élève peut commencer vraiment à travailler.
Il faut que le geste soit parfait. L’attitude mentale viendra après
seulement. C’est en traversant cette phase d’apprentissage que l’élève
sera en mesure, plus tard, de développer la souplesse d’esprit.
Le deuxième stade – SHUGYO – est une mise en pratique des
éléments appris. Les gestes sont techniquement au point,
extérieurement. L’élève doit les intégrer, les faire siens, de façon à
pouvoir se mettre en harmonie avec eux. Un peu comme un musicien
qui, connaissant le solfège et les lois de l’harmonie, va pouvoir
composer des morceaux à la fois rigoureux et harmonieux. Il crée de
la musique en se mettant au service de la musique.
Le troisième stade – JUTSU – est déjà un stade assez élevé et c’est
probablement le plus dangereux. L’élève a pu canaliser toute son
attention, son énergie, pour atteindre une certaine compétence, une
certaine efficacité. Que lui reste-t-il à découvrir ? Lui-même. Il
possède une somme importante de connaissances, mais il lui manque
la liberté. À cause de ses compétences, il peut se tromper et tromper
tout le monde. À ce stage, il fait un complet retour sur lui-même et est
confronté à des vrais problèmes : la vanité de son savoir, la peur de
vieillir, l’angoisse de s’être trompé de chemin. Il aura même envie de
rejeter ce qu’il a appris. C’est pourtant à ce stade qu’il apprend la
liberté de choisir. Le combat n’est plus dehors, mais dedans. Il mesure
la force de ses véritables contraintes.
Le quatrième stade – DO – est la voie réalisée. Je ne peux pas vous en
parler, il n’y a pas de définition. Un maître pourra répondre, parfois,
d’un geste…
R.F. J’ai vu, pendant votre stage, une démonstration de sabre
contre bâton. Quelles sont les qualités que vous cherchez à
mettre en valeur dans ce type de combat ?
Pascal : La façon dont vous posez la question est intéressante. Au premier
stade, on dira : « le sabre contre le bâton ». Ensuite, on dira plutôt :
« le sabre et le bâton ». Plus tard, peut-être, avec une vision moins
dualiste, on dira : « le sabre avec le bâton ».
En tant que pédagogue, on cherche à faire travailler l’élève de façon
de plus en plus exigeante techniquement, mais toujours en harmonie
avec lui-même, avec ce qu’il peut donner. On va le solliciter jusqu’à sa
limite, sans jamais la dépasser. On va le pousser, comme j’aime à le
dire, dans son pays inconnu, dans son « no man’s land » à lui.
R.F. Il se dégage une impression de très grande force, une grande
énergie, durant la pratique. Le Budo utilise directement les
pulsions de violence, d’agressivité, ou il cherche à les réduire
pour mieux les canaliser ?
Pascal : Il ne faut pas oublier que le sabre a, symboliquement, un double
tranchant : un tranchant vers l’autre, mais aussi un vers soi-même.
Tiki : Oui, et la violence absolue, chez l’être humain, est intimement liée au
problème, à la question de la mort. Donc, la pulsion de violence a une
origine très lointaine, très profonde. Pour le pratiquant des arts de
combat, il faut aller jusqu’au sabre qui donne la vie. De même dans la
vie quotidienne, toute action a une base d’énergie. Lorsque celle-ci est
mal connue, mal contrôlée, pulsionnelle, on dit qu’elle est plus ou
moins violente. Mais au départ, c’est de l’énergie qui veut vivre à tout
prix. Et il ne faut probablement pas la fuir, la nier ou en avoir peur. Il
faut rentrer dedans avant de la transcender.
Je raconte souvent cette histoire d’un braconnier que j’ai connu et qui
chassait tant et plus de façon sauvage et illicite. Puis il a changé peu à
peu son mode de voir la nature, il l’a aimée. Il est devenu gardechasse,
un protecteur de la nature hors classe ! Rendez-vous compte,
il connaît toutes les ficelles du métier, toutes les combines. La violence
est une crise à passer. On voit parfois les pacifistes parler de la paix en
douceur, et fuir la violence. Mais une paix qui ne prend pas en
considération la violence n’est pas une vraie paix.
R.F. Quelle est la raison d’être du cri (le KIAI) qui accompagne le
geste dans le combat ?
Pascal : Sur le plan physiologique, le kiaï met en relation les diverses parties
musculaires du corps qui, au moment du geste d’attaque, est à son
maximum de tension. Venant de la partie abdominale, il fait
l’intermédiaire entre les muscles du haut et les muscles du bas du
corps. Et cette mise en relation dégage une très grande puissance.
R.F. Sur le plan technique, l’apprentissage du Budo est
essentiellement basé sur un aspect répétitif du geste. L’élève
ne doit rien inventer, rien créer, mais reproduire. Où est la
spontanéité dans cette discipline ?
Pascal : Il y a deux sortes de spontanéité : l’une faussée parce qu’anarchique,
bloquée, mal canalisée, l’autre libre et harmonieuse.
En Judo, par exemple, lorsque votre adversaire attaque, vous n’avez
plus le temps de réfléchir, il ne faut pas réfléchir. La spontanéité est ce
qui permet à la meilleure réponse de trouver le chemin le plus rapide
pour s’exprimer, sans entrave, sans hésitation, sans rupture. Pour y
arriver, il faut éduquer les voies réflexes. C’est au niveau du cerveau
que se fait le travail d’élaboration du meilleur geste. Encore une fois,
cela suppose de très nombreuses répétitions, des milliers d’heures
d’entraînement.
R.F. Mais, par ailleurs, n’y a t-il pas un écueil, un danger à
apprendre à répéter des milliers de fois un même geste, un
même comportement ? N’y voyez-vous pas le danger d’une
robotisation chez l’élève ?
Tiki : Cette question n’est vraie que par rapport au premier stade
d’apprentissage dont nous avons parlé tout à l’heure.
Pascal : Avant de proposer à quelqu’un d’être libre, on lui demande d’être vrai.
Et la base de départ du Budo consiste à faire ce qui est à faire et rien
d’autre. L’élève doit se concentrer sur une seule chose, faire un geste.
Et la qualité de ce geste doit être telle que, s’il n’est pas parfait, pur,
l’élève ne peut se trouver aucune excuse.
R.F. De quelle façon vous voyez, ou avez-vous découvert par le
Budo certaines relations entre le corps et l’esprit ?
Pascal : Comment expliquer qu’un geste, aussi simple soit-il, est complètement
différent exécuté par un débutant ou un maître ? Il y a quelque chose
à l’intérieur de la personne qui est complètement différent. Lorsqu’on
veut tenter de faire quelque chose à 100 %, on ne peut pas le faire
uniquement avec le corps. Regardez toute l’importance de l’attitude
mentale, psychologique, dans les sports de haut niveau. Dans le Budo
également on constate qu’il y a au début séparation entre le corps et
l’esprit. Puis, peu à peu, diminue le fossé qui sépare les deux, et la
pratique d’une discipline martiale est une réponse à cette recherche
d’unité.
R.F. Avez-vous l’impression que la pratique intensive du Budo a
modifié votre façon de voir le monde, l’homme, votre
conception de la vie quotidienne ?
Tiki : Le plus important est d’essayer de vivre ici et maintenant. En japonais,
on dit NAKA-IMA (au milieu maintenant).
Il ne sert à rien de se référer perpétuellement à son passé. Être
maintenant, c’est développer une attitude fraîche dans laquelle tout
est nouveau. C’est la première et la dernière fois de ma vie que ce
maintenant existe. Ceci se résume en deux mots essentiels, qui
qualifient l’instant, le sel de la vie : ICHI-GO / ICHI-E : une rencontre,
une expérience.
février 2006

 

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