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  • Le BUDO


    Cette interview de Pascal Krieger et Malcolm T. Shewan a été réalisée par
    Robert Faure au cours du stage des Iles en 1987 et a été publiée dans la revue
    « SOURCES – l’Aventure Intérieure »
    du mois de juillet de la même année.

     

    budo.jpg

    R.F. Qu’est-ce que le Bushido ? Est-ce un nom japonais qui signifieune technique de combat, une philosophie, un art de vivre ?

    Tiki : C’est un terme qui a tendance à se vulgariser ici, en Occident. Àl’origine, c’est essentiellement un code moral chevaleresque qui

    comprend des notions de devoir, de fidélité, de loyauté, d’effacement
    de soi-même au profit des autres.
    L’application de ces règles de vie n’a jamais été réduite à une activité
    particulière de la vie japonaise. Elles sont assez générales pour être
    employées à tous les secteurs de l’action. Un homme d’affaire
    japonais, une mère de famille, un artiste peut respecter un art de
    vivre. Le terme BUSHIDO est constitué de trois racines – BU :
    noblesse ; SHI : guerre ; DO : la voie. Il peut se traduire par : « la
    voie de la noblesse guerrière ». Le concept de Bushido n’a pas
    d’époque précise. L’apogée de l’influence de ce Code se situe au 12-13
    siècle. Plus tard apparaissent les Samurai, serviteurs de la classe
    guerrière. Le Bushido n’est pas à confondre avec l’ensemble des
    techniques de combat issues du Japon, que l’on nomme BUDO.
    R.F. Que pensez-vous de la prolifération de Dojo, de salles d’Arts
    Martiaux, en Occident : des lieux de pratique reliés à un esprit
    de compétition, de performance, à un art de dépassement de
    nos complexes ?
    Tiki : La réponse se divise en deux. Tout d’abord, il y a un certain nombre
    de principes culturels, dans le Budo, qui viennent spécifiquement du
    Japon. Maintenant, ces vérités culturelles contiennent des valeurs
    proprement universelles. Où se trouve la plus grande fidélité ?
    Faut-il transmettre des valeurs culturelles liées à l’aventure japonaise
    ou faut-il tenter de transcender les questions de race, de culture, de
    société ? Toutes les méthodes ont un enracinement culturel très fort
    que l’on ne peut négliger. Mais il ne faut peut-être pas oublier que ces
    méthodes ont toutes une finalité. Pour moi, il est nécessaire de
    respecter la méthode dans la mesure où elle respecte l’être humain.
    Je ne pense pas que ce soit en mettant des tapis japonais chez soi et
    en mangeant du riz avec des baguettes que ça vous aidera dans la vie.
    Mais, inversement, si dans la pratique d’un art, d’une technique de combat,
    vous ne persistez pas, vous passez à côté d’éléments-supports
    indispensables, de principes de comportement, comme la
    concentration, le silence, les protocoles de combat… et vous avez ainsi
    laissé la porte ouverte à un changement de l’état d’esprit initial, avec
    les risques de dégradation que cela entraîne. Il faut toujours distinguer
    entre ce qui est phénomène social, culturel et les principes sousjacents
    des méthodes issues de telle ou telle culture, lesquels
    dépassent largement le concept de race ou de nation.
    Au niveau des Arts Martiaux, il faut conserver et préserver la méthode
    exacte, qui a fait ses preuves, sans en perdre la finalité.
    Pascal : Prenons un autre exemple : quelle est la vérité qui se cache derrière le
    Budo, l’étiquette, le salut,… ? C’est le respect : respect du lieu, respect
    de l’arme que l’on utilise. Nous essayons de faire passer ce principe
    universel à travers une méthode japonaise. La forme du salut est
    japonaise, mais le sens est universel et reste valable pour tout le
    monde. À la limite, les Japonais tendent eux-mêmes à oublier
    l’universalité de ces principes et pensent qu’ils sont quasi les seuls à
    développer ses qualités de noblesse, de respect, de courtoisie.
    R.F. Mais pourquoi, dans votre manière d’enseigner les Arts
    Martiaux, créer cet environnement qui peut paraître excessif.
    On entend des discours un peu crus sur l’art d’éliminer son
    adversaire ?
    Pascal : Oui, par exemple : « Si vous plantez comme ça votre sabre, vous ne
    pouvez pas le ressortir. », ou encore : « Même avec un bras, votre
    adversaire peut vous tuer. ».
    Dans ces détails qui font un peu charcuterie, il y a des notions très
    guerrières. Mais c’est l’emballage qui compte. On emballe ça dans une
    étiquette, un respect de l’autre, un travail sur soi-même. Si l’élève s’y
    refuse, il souffrira. C’est une ambiance de travail que l’on crée pour
    que ces notions qui sont un peu meurtrières ne passent pas du
    mauvais côté. Le respect de l’autre dans le combat, l’étiquette permet
    de canaliser l’énergie, sans débordement.
    R.F. Que pensez-vous de la prolifération des techniques martiales
    enseignées aujourd’hui ?
    Tiki : Il existe un obstacle dans la transmission des Arts Martiaux. C’est le
    mélange de diverses techniques. Quelqu’un qui pratique diverses
    disciplines est comme celui qui prend dans ses mains à la fois une
    pince, un marteau et un tournevis. Il ne fait rien de bon. Il faut poser
    l’un ou l’autre outil et n’en prendre qu’un.
    Ce mélange est un frein. Alors qu’une technique doit être abordée
    seule 8 à 10 000 fois avant d’être efficace.
    R.F. De quelle façon le Budo modifie votre vie quotidienne ?
    Tiki : Je prendrai un exemple. Il y a quelques années, j’étais toujours en
    retard, partout où j’allais. Un jour, j’ai réalisé, en faisant du Budo, que
    tout retard symbolise une mort. J’ai senti que la discipline que je
    pratiquais faisait partie du quotidien.
    Dès qu’un principe participe concrètement à notre vie consciente, il
    devient vivant. Mais c’est la répétition qui permet cette prise de
    conscience, peu à peu.
    R.F. Et votre pédagogie, comment l’appliquez-vous ?
    Pascal : Comme enseignants, nous sommes plutôt des catalyseurs, des
    synthétiseurs. J’ai un sentiment de fidélité par rapport aux vieux
    maîtres que j’ai connus.
    Tiki : … oui, et c’est aussi le temps qui fait l’apprentissage. L’expérience du
    temps est irremplaçable. J’aime voir quelqu’un, pas forcément doué,
    venir régulièrement à l’entraînement. Et puis le voir évoluer, peu à
    peu. Et au bout de dix ans, j’ai envie de lui parler et de lui dire :
    « Vous avez fait dix ans de travail, maintenant on va commencer à
    échanger autre chose. ».
    Pascal : Oui, cette notion d’entraînement (KEIKO) est quelque chose
    d’important chez les Japonais. KEI veut dire penser, se souvenir. KO
    signifie la Tradition. KEIKO : se remémorer le passé et demeurer fidèle
    à l’esprit de la tradition. Ceci suppose une complète adaptation aux
    conditions du moment. Qu’il fasse froid ou chaud, que ce soit le matin
    ou la nuit, accepter la situation présente telle qu’elle est.
    Tiki : De même le mot SENSEI ne veut pas dire « maître » ou
    « enseignant ». Mais il désigne « celui qui était là avant moi », donc,
    dans le temps, celui qui a parcouru davantage de chemin que moi
    débutant.
    R.F. Alors justement, quels sont, dans les grandes lignes, les
    différents stades d’apprentissage, jusqu’à la totale maturité ?
    Pascal : On peut décrire 4 stades principaux : GYO – SHUGYO – JUTSU – DO.
    Le stage GYO, c’est l’obéissance aux enseignements reçus, sans tenter
    de les interpréter. L’élève accepte d’être en situation de dense
    ignorance. Il n’y comprend rien, il ne sait pas du tout pourquoi on lui
    fait faire certains mouvements. Il n’a qu’un point de référence : celui
    de son maître. On lui demande à la fois de ne pas se poser de
    questions, de ne pas réfléchir, et de faire.
    C’est la phase d’apprentissage, qui, dans la conception japonaise, est
    beaucoup exigeante. Pour apprendre la flûte japonaise, par exemple, il
    faut consacrer 3 ans simplement pour arriver à bouger le cou de façon
    à produire la modulation d’un son. On se trouve ainsi, au bout de 3
    ans, dans la situation où l’élève peut commencer vraiment à travailler.
    Il faut que le geste soit parfait. L’attitude mentale viendra après
    seulement. C’est en traversant cette phase d’apprentissage que l’élève
    sera en mesure, plus tard, de développer la souplesse d’esprit.
    Le deuxième stade – SHUGYO – est une mise en pratique des
    éléments appris. Les gestes sont techniquement au point,
    extérieurement. L’élève doit les intégrer, les faire siens, de façon à
    pouvoir se mettre en harmonie avec eux. Un peu comme un musicien
    qui, connaissant le solfège et les lois de l’harmonie, va pouvoir
    composer des morceaux à la fois rigoureux et harmonieux. Il crée de
    la musique en se mettant au service de la musique.
    Le troisième stade – JUTSU – est déjà un stade assez élevé et c’est
    probablement le plus dangereux. L’élève a pu canaliser toute son
    attention, son énergie, pour atteindre une certaine compétence, une
    certaine efficacité. Que lui reste-t-il à découvrir ? Lui-même. Il
    possède une somme importante de connaissances, mais il lui manque
    la liberté. À cause de ses compétences, il peut se tromper et tromper
    tout le monde. À ce stage, il fait un complet retour sur lui-même et est
    confronté à des vrais problèmes : la vanité de son savoir, la peur de
    vieillir, l’angoisse de s’être trompé de chemin. Il aura même envie de
    rejeter ce qu’il a appris. C’est pourtant à ce stade qu’il apprend la
    liberté de choisir. Le combat n’est plus dehors, mais dedans. Il mesure
    la force de ses véritables contraintes.
    Le quatrième stade – DO – est la voie réalisée. Je ne peux pas vous en
    parler, il n’y a pas de définition. Un maître pourra répondre, parfois,
    d’un geste…
    R.F. J’ai vu, pendant votre stage, une démonstration de sabre
    contre bâton. Quelles sont les qualités que vous cherchez à
    mettre en valeur dans ce type de combat ?
    Pascal : La façon dont vous posez la question est intéressante. Au premier
    stade, on dira : « le sabre contre le bâton ». Ensuite, on dira plutôt :
    « le sabre et le bâton ». Plus tard, peut-être, avec une vision moins
    dualiste, on dira : « le sabre avec le bâton ».
    En tant que pédagogue, on cherche à faire travailler l’élève de façon
    de plus en plus exigeante techniquement, mais toujours en harmonie
    avec lui-même, avec ce qu’il peut donner. On va le solliciter jusqu’à sa
    limite, sans jamais la dépasser. On va le pousser, comme j’aime à le
    dire, dans son pays inconnu, dans son « no man’s land » à lui.
    R.F. Il se dégage une impression de très grande force, une grande
    énergie, durant la pratique. Le Budo utilise directement les
    pulsions de violence, d’agressivité, ou il cherche à les réduire
    pour mieux les canaliser ?
    Pascal : Il ne faut pas oublier que le sabre a, symboliquement, un double
    tranchant : un tranchant vers l’autre, mais aussi un vers soi-même.
    Tiki : Oui, et la violence absolue, chez l’être humain, est intimement liée au
    problème, à la question de la mort. Donc, la pulsion de violence a une
    origine très lointaine, très profonde. Pour le pratiquant des arts de
    combat, il faut aller jusqu’au sabre qui donne la vie. De même dans la
    vie quotidienne, toute action a une base d’énergie. Lorsque celle-ci est
    mal connue, mal contrôlée, pulsionnelle, on dit qu’elle est plus ou
    moins violente. Mais au départ, c’est de l’énergie qui veut vivre à tout
    prix. Et il ne faut probablement pas la fuir, la nier ou en avoir peur. Il
    faut rentrer dedans avant de la transcender.
    Je raconte souvent cette histoire d’un braconnier que j’ai connu et qui
    chassait tant et plus de façon sauvage et illicite. Puis il a changé peu à
    peu son mode de voir la nature, il l’a aimée. Il est devenu gardechasse,
    un protecteur de la nature hors classe ! Rendez-vous compte,
    il connaît toutes les ficelles du métier, toutes les combines. La violence
    est une crise à passer. On voit parfois les pacifistes parler de la paix en
    douceur, et fuir la violence. Mais une paix qui ne prend pas en
    considération la violence n’est pas une vraie paix.
    R.F. Quelle est la raison d’être du cri (le KIAI) qui accompagne le
    geste dans le combat ?
    Pascal : Sur le plan physiologique, le kiaï met en relation les diverses parties
    musculaires du corps qui, au moment du geste d’attaque, est à son
    maximum de tension. Venant de la partie abdominale, il fait
    l’intermédiaire entre les muscles du haut et les muscles du bas du
    corps. Et cette mise en relation dégage une très grande puissance.
    R.F. Sur le plan technique, l’apprentissage du Budo est
    essentiellement basé sur un aspect répétitif du geste. L’élève
    ne doit rien inventer, rien créer, mais reproduire. Où est la
    spontanéité dans cette discipline ?
    Pascal : Il y a deux sortes de spontanéité : l’une faussée parce qu’anarchique,
    bloquée, mal canalisée, l’autre libre et harmonieuse.
    En Judo, par exemple, lorsque votre adversaire attaque, vous n’avez
    plus le temps de réfléchir, il ne faut pas réfléchir. La spontanéité est ce
    qui permet à la meilleure réponse de trouver le chemin le plus rapide
    pour s’exprimer, sans entrave, sans hésitation, sans rupture. Pour y
    arriver, il faut éduquer les voies réflexes. C’est au niveau du cerveau
    que se fait le travail d’élaboration du meilleur geste. Encore une fois,
    cela suppose de très nombreuses répétitions, des milliers d’heures
    d’entraînement.
    R.F. Mais, par ailleurs, n’y a t-il pas un écueil, un danger à
    apprendre à répéter des milliers de fois un même geste, un
    même comportement ? N’y voyez-vous pas le danger d’une
    robotisation chez l’élève ?
    Tiki : Cette question n’est vraie que par rapport au premier stade
    d’apprentissage dont nous avons parlé tout à l’heure.
    Pascal : Avant de proposer à quelqu’un d’être libre, on lui demande d’être vrai.
    Et la base de départ du Budo consiste à faire ce qui est à faire et rien
    d’autre. L’élève doit se concentrer sur une seule chose, faire un geste.
    Et la qualité de ce geste doit être telle que, s’il n’est pas parfait, pur,
    l’élève ne peut se trouver aucune excuse.
    R.F. De quelle façon vous voyez, ou avez-vous découvert par le
    Budo certaines relations entre le corps et l’esprit ?
    Pascal : Comment expliquer qu’un geste, aussi simple soit-il, est complètement
    différent exécuté par un débutant ou un maître ? Il y a quelque chose
    à l’intérieur de la personne qui est complètement différent. Lorsqu’on
    veut tenter de faire quelque chose à 100 %, on ne peut pas le faire
    uniquement avec le corps. Regardez toute l’importance de l’attitude
    mentale, psychologique, dans les sports de haut niveau. Dans le Budo
    également on constate qu’il y a au début séparation entre le corps et
    l’esprit. Puis, peu à peu, diminue le fossé qui sépare les deux, et la
    pratique d’une discipline martiale est une réponse à cette recherche
    d’unité.
    R.F. Avez-vous l’impression que la pratique intensive du Budo a
    modifié votre façon de voir le monde, l’homme, votre
    conception de la vie quotidienne ?
    Tiki : Le plus important est d’essayer de vivre ici et maintenant. En japonais,
    on dit NAKA-IMA (au milieu maintenant).
    Il ne sert à rien de se référer perpétuellement à son passé. Être
    maintenant, c’est développer une attitude fraîche dans laquelle tout
    est nouveau. C’est la première et la dernière fois de ma vie que ce
    maintenant existe. Ceci se résume en deux mots essentiels, qui
    qualifient l’instant, le sel de la vie : ICHI-GO / ICHI-E : une rencontre,
    une expérience.
    février 2006

     

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  • La Voie du Guerrier

    La Voie du Guerrier
    Entretien avec Pascal Krieger et Malcolm T. Shewan
    par Daniel Bessaignet
    publié dans la revue « ITINERANCES »
    dossier n° 2 de novembre 1986


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    Le thème des nouveaux guerriers ou les films de karaté grand spectacle offrent
    une fausse image de l’homme invincible, doté de pouvoirs ou d’une pseudo
    sagesse.
    En dehors de ces clichés qui attirent la foule, nous concluons ce dossier avec
    deux authentiques enseignants « d’arts martiaux ». Leur véritable recherche se
    situe, en fait, bien au-delà d’une gestuelle ou d’une simple maîtrise corporelle.
    Leur art est une voie qui fréquente l’émotion au plus haut niveau : depuis le
    simple regard jusqu’au rapport de justesse, un sabre dans la main. Cet art des
    anciens samuraï s’adresse à l’être d’aujourd’hui qui a besoin de se sentir
    autant relié à sa fragilité d’homme qu’à la puissance qui l’habite.
    Pascal et Tiki nous permettent dans cet entretien l’approche du véritable
    paradoxe : combattre, c’est parvenir à l’état où il n’y a ni combat ni ennemi.
    D.B. Pourriez-vous nous donner un aperçu des techniques que vous
    pratiquez ?
    Tiki : l'Aïkido est un Ko-Budo, c’est-à-dire un art martial traditionnel
    japonais, actualisé pour être pratiqué comme il l’est de nos jours.
    Contrairement au Judo, au Karaté ou au Kendo, l'Aïkido refuse toute
    idée de compétitions ou d’applications sportives. C’est avant tout une
    pratique de corps à corps, avec des immobilisations, des projections,
    etc. L’étude des mouvements de corps pratiqués en Aïkido est issue
    des techniques du maniement des armes, telles que le sabre (katana),
    le bâton (jo ou yari), ou simplement un couteau (tanto). La discipline
    du bâton (Jodo) est enseignée dans une école (ryu) datant du XVIIe
    siècle. Le bâton a une taille et une circonférence déterminées pour
    devenir efficace face aux armes classiques. Cette école, restée
    traditionnelle, englobe dans son enseignement l’étude de diverses
    armes telles que le sabre (katana), la canne (tanjo), la matraque
    (jitte), la faucille munie d’une chaîne au bout de laquelle est fixée une
    boule (kusarigama), l’art de ligoter un adversaire (hojo-jutsu), aussi
    bien avec que sans armure.
    Nous pratiquons également le Iaïdo, qui est à proprement parler l’art
    de dégainer et couper avec un sabre (katana). Il s’agit également
    d’une discipline classique qui ne saurait souffrir aucune application
    sportive.
    Il existe encore aujourd’hui au Japon de nombreuses écoles de Iaï qui
    enseignent soit le Iaï-do qui est une approche spirituelle de cet art,
    soit le Iaï-jutsu où la recherche vise l’efficacité technique et combative,
    telle qu’elle existait par le passé. Il ne faut pas cependant commettre
    l’erreur de croire que le Iaï-jutsu est une discipline moins spirituelle
    que le Iaï-do. Les vertus guerrières imposent une moralité
    irréprochable.
    Ces trois disciplines, quoique différentes du point de vue technique, se
    rejoignent dans leurs principes. Elles font partie de ce que nous
    appelons le Ko-Budo, les disciplines martiales traditionnelles. C’est la
    raison pour laquelle nous les travaillons parallèlement. Elles sont
    pratiquées dans le même esprit.
    D.B. Avez-vous une filiation particulière ?
    Pascal : Après des années de pratique dans une discipline martiale, ou dans les
    arts martiaux, on finit par être marqué par des personnalités dont
    l’enseignement, qui est en soi une éducation autant physique que
    spirituelle, permet une transformation du caractère et de notre mode
    de comportement. Tous ceux qui ont mûri dans la pratique des
    disciplines martiales ont connu un Maître qui les a marqués de son
    empreinte. Le Maître peut revêtir la forme d’un simple professeur,
    mais qui aura su transmettre.
    J’ai été fortement marqué par deux… ou trois personnes et la façon
    dont je me conduis actuellement est due en grande partie à l’influence
    qu’ils ont exercée sur mon caractère.
    Tiki : Nous avons la chance en Aïkido d’avoir en France un maître japonais,
    Tamura Sensei, dont la compétence et la valeur sont reconnues dans
    le monde entier. C’est un élève du Maître fondateur Morihei Ueshiba.
    Je suis d’ailleurs venu en France pour travailler l'Aïkido sous sa
    direction.
    Dans ma pratique du Iaï, plusieurs personnes m’ont également
    fortement influencé. Je voudrais cependant appliquer une définition à
    ce que l’on entend par « maître ». C’est un individu qui grâce au
    chemin déjà parcouru et par son expérience parvient à transmettre un
    aspect, un détail, toujours par rapport à la totalité de l’activité ou de la
    discipline qu’il transmet. (En japonais, Sensei ne veut pas dire
    « maître », mais « celui qui vient avant ».) Il peut s’agir d’un geste,
    d’un déplacement, d’une attitude, ne s’appliquant pas seulement pour
    une technique, mais pour l’ensemble des techniques de la discipline.
    Par là même, il rend ses élèves libres et indépendants. C’est un guide,
    pas un mythe.
    D.B. Considérez-vous les arts martiaux que vous enseignez comme
    une technique psychosomatique, un sport, un art ?
    Tiki : Peut-être faudrait-il avant tout définir ce qu’il convient d’entendre
    lorsque l’on parle d’art martial, ou d’arts martiaux, terme trop
    largement utilisé. Il faut en effet tenir compte de trois considérations
    pour définir l’art martial :
    1. il était toujours conçu pour la guerre ;
    2. il était toujours en rapport direct avec les armes ;
    3. il tenait compte des armures et des fortifications.
    Ainsi, à nos yeux, le Judo, le Karaté, le full-contact, etc., ne sont pas
    des arts martiaux, mais plutôt des disciplines martiales, en ce sens où
    leurs techniques ne peuvent pas être appliquées sur un champ de
    bataille. En fait, il n’y a jamais eu à proprement parler d’art martial à
    mains nues, et surtout jamais d’art martial avec lequel on puisse faire
    de la compétition sportive. L’art martial a techniquement des fins qui
    ne s’accordent pas avec des jeux, même pris dans le sens noble du
    terme.
    Pascal : Au niveau de l’enseignement, nous portons de ce fait une lourde
    responsabilité. En effet, on n’enseigne pas à des jeunes gens le
    maniement d’une arme comme si c’était un jeu. Le sens de
    l’enseignement est de pétrir, de malaxer, de forger le caractère des
    gens qui s’y prêtent. Il est des notions simples, des notions de base
    qu’il est nécessaire d’inculquer, et d’autres qui consistent à laisser faire
    la nature.
    Un jeune garçon, par exemple, qui aborde les « arts martiaux » aura
    comme première motivation d’apprendre à se battre. En général, son
    désir est d’obtenir une meilleure confiance en lui, non par un travail
    sur lui-même mais par une domination sur les autres. Aussi, au début
    de son entraînement, on lui fera faire des mouvements de base dans
    son coin, sans trop le corriger. On va le reprendre s’il n’est pas à sa
    place, s’il n’est pas propre, s’il arrive en retard, etc. C’est par là que
    l’on va commencer son apprentissage. Après quelque temps, il doit
    comprendre qu’après tout, il lui faut commencer par un contrôle de
    soi-même avant d’aller plus loin. Il existe donc une sélection naturelle
    dès le départ entre ceux qui possèdent un potentiel pour entamer un
    travail sur eux-mêmes et ceux qui ne sont pas encore prêts. De là à
    dire que ceux qui n’accrochent pas sont perdus est loin de notre
    pensée. Ils iront peut-être essayer d’autres disciplines martiales et
    acquérir quelques notions de combat, mais tant qu’ils ne percevront
    pas la nécessité d’un combat contre soi-même, ils ne pourront pas
    entamer un véritable travail.
    D.B. Est-ce alors l’enseignement d’une technique ou d’une voie
    spirituelle ?
    Pascal : Elles vont de pair, car on demande à l’élève de travailler à la fois avec
    son corps et avec son âme. Pour les armes, on lui demande de les
    respecter, de se conformer à une certaine étiquette ou cérémonial,
    d’exécuter des gestes éducatifs n’ayant aucune application combative.
    Petit à petit, on le placera dans des situations combatives, non pas
    dans un but technique, mais pour cultiver en lui l’attitude mentale de
    celui qui a une arme entre les mains. Donc supprimer sa peur, sa
    violence, son agressivité, lui faire exécuter les mouvements d’une
    certaine manière avec l’attitude mentale nécessaire. Ce travail lui
    prendra des années, et c’est lui qui le fera, à 99 %. Le professeur, ou
    plus tard le maître, n’est là que pour le remettre dans le droit chemin,
    et sera surtout pris comme exemple.
    D.B. Dans la pratique des arts martiaux, une meilleure connaissance
    de soi inclut-elle une compréhension et une acceptation de ses
    peurs ?
    Pascal : La peur est issue de l’ignorance. Ce n’est donc pas en la fuyant que
    nous parviendrons à la comprendre. Il est en effet indispensable de la
    comprendre pour qu’elle puisse disparaître. Tant de réactions de l’être
    humain sont issues de la peur : la violence, le racisme, etc.
    Tiki : D’ailleurs, à l’origine, les arts martiaux étaient pratiqués par des
    guerriers professionnels. Leur travail était de combattre. Ainsi leur vie
    était confrontée aux peurs et aux anxiétés issues de leur contact
    constant avec la mort. Ils ont donc vite compris que ce n’est pas la
    technique qui leur permettrait d’affronter la mort avec le plus
    d’efficacité, mais qu’il fallait pénétrer et comprendre, de façon
    spirituelle, l’essence même de la vie et de la mort.
    Le travail qu’ils accomplissaient sur eux-mêmes leur permettait
    d’aborder une situation mortelle comme on s’asseoit derrière un
    bureau pour écrire.
    On rejoint finalement une notion qui apparaît dans toutes les religions.
    Cette notion est Do, la voie spirituelle, au travers de l’art martial. C’est
    le paradoxe fondamental : voie spirituelle alors que techniquement on
    apprend à tuer. C’est un koan. Il ne peut être résolu
    intellectuellement, mais par un engagement total Corps, Ame et Esprit.
    Pascal : Dans ce contexte, partant de sa peur de la mort, le guerrier supprimait
    toutes ses autres peurs. Et puis, certains d’entre eux ayant fait le tour
    de leurs dépendances et de leur manque, finissaient par vivre
    frugalement. Habitué à rien, il n’avait besoin de rien. Arriver à ne plus
    avoir besoin de la vie et de la Mort. Ils ont transcendé le phénomène,
    sachant que vie et Mort forment un tout rejoignant le principe de
    l’unité taoïste.
    À cet instant de l’entretien, Pascal nous quitte pour prendre son avion
    qui le ramène en Suisse, où il enseigne ? Nous poursuivons avec Tiki.
    D.B. Actuellement dans votre pratique, il ne s’agit pas, comme dans
    le japon d’autrefois, d’une question de vie ou de mort.
    Comment insuffler alors au pratiquant l’esprit du Bushido ?
    Tiki : Aujourd’hui, nous pratiquons dans un Dojo, qui signifie littéralement
    « le lieu où l’on pratique la Voie ». Le dojo est un champ de bataille
    sur lequel on peut revenir le lendemain.
    Par ailleurs, il paraît difficile dans le contexte social moderne de
    recréer la même ambiance de vie et de mort à l’intérieur d’une
    structure de masse telle qu’une Fédération. Dans certains Dojo privés,
    au Japon, constitués d’un maximum de trente élèves, le Maître
    s’arrangera pour créer une situation où, face à lui, vous ne saurez à
    aucun moment s’il va ou non porter un coup. Il recrée
    intentionnellement et réellement par son attitude la peur que vous
    éprouveriez face à la mort, le sentiment que vous pourriez mourir dans
    votre entraînement. L’entraînement devient réalité et vous oblige à
    aller au-delà de la technique. Il faut cependant déjà posséder plusieurs
    années de pratique et une certaine volonté pour se soumettre à un tel
    entraînement. C’est une expérience indispensable et déterminante.
    Dans certaines écoles, les combats se déroulent avec de vraies armes,
    et l’on peut y mourir.
    Vous savez, lorsqu’un pratiquant de Iaï comprend la signification des
    mouvements qu’il exécute, donc de l’horreur liée à l’arme qu’il manie,
    sa prise de conscience est réelle. C’est à ce moment précis qu’il décide
    de poursuivre et donc de transcender cette violence par des prises de
    conscience successives, ou d’arrêter sa pratique.
    D.B. Vous sentez-vous les dépositaires d’une tradition ?
    Tiki : Il faut préciser qu’il s’agit de pratiques ouvertes – elles ne le sont pas
    toutes -, donc abordables par tous. Elles sont exportables en Occident
    et chacun peut y trouver son compte : bonne santé, self-défense,
    compétition, détente, etc.
    Dans ce sens, nous ne nous sentons pas dépositaires du patrimoine
    militaire et stratégique à partir duquel s’est construit l’art martial dans
    le Japon ancien.
    Nous sommes plutôt des relais et notre responsabilité est de
    transmettre au mieux de notre capacité les idées essentielles et
    universelles qui sont exprimées dans nos disciplines. Et surtout de
    transmettre le plus fidèlement les techniques qui nous ont été
    transmises. En effet, du fait de notre antécédent martial, chaque geste
    que nous exécutons dans le cadre de notre pratique a une raison
    d’être, même lorsqu’il faut des années pour en percevoir le sens.
    D.B. Y a-t-il eu, au cours du temps, une évolution de la peur ou bien
    l’homme se posera-t-il toujours la question fondamentale de la
    résolution de sa mort ?
    Tiki : Rien n’a changé. Si autrefois on avait peur de mourir d’un coup de
    sabre, aujourd’hui on a peur de mourir d’un coup de revolver. La peur
    est la même dans son essence. L’évolution de l’homme, ou ce que l’on
    est tenté de considérer comme telle n’est que technique, scientifique,
    matérielle. Lui a très peu changé, dans ce sens où il est toujours le
    seul à décider pour lui-même d’entreprendre le chemin de son
    évolution. Ce n’est pas la résultante d’une transformation automatique
    comme l’est par exemple la puberté. L’homme n’évolue pas
    automatiquement de façon spirituelle. Cette évolution nécessite un réel
    travail sur soi. Mais on peut, comme beaucoup, se contenter de
    remplir le rôle que nous a assigné la nature. Aller au-delà, commencer
    de répondre au problème de son existence, n’entre pas dans le schéma
    de la nature. C’est l’homme seul qui se donne la capacité d’aller audelà.
    Sans cette volonté, il n’y a pas de voie possible. Et ce n’est pas
    par injustice puisque c’est une question de choix. (rires)
    D.B. Pensez-vous que notre temps favorise la recherche spirituelle ?
    Tiki : La situation du monde moderne offre des conditions intéressantes et
    suffisantes. Nous sommes tous sous la menace d’un incident et/ou
    d’un conflit nucléaire auquel il est difficile de se soustraire. En ce sens,
    tout le monde est face à l’éventualité soudaine et imprévue de sa
    propre mort, tout comme le samuraï ou le chevalier de notre histoire
    lorsqu’il se mettait en quête du sens de son existence.
    Les conditions actuelles permettent donc ce travail sur nous-mêmes.
    D.B. Les arts martiaux amènent-ils tous à une meilleure
    connaissance de soi ?
    Tiki : Si un pratiquant savait clairement dès le départ les efforts qu’il lui faut
    fournir pour obtenir si peu, il n’entreprendrait jamais ce travail.
    Heureusement, il ne peut le savoir. Face à nos problèmes personnels :
    phobies, angoisses, peurs, etc., il est vraiment nécessaire de refondre
    tout notre être. La pratique martiale, telle que nous l’avons explicitée
    tout au long de cet entretien, permet une transformation entière de
    l’individu. Il n’est plus la même personne que celle qui a commencé.
    Cela s’acquiert au prix d’efforts considérables.
    D.B. Quelles sont les étapes de ce chemin ?
    Tiki : C’est la continuité de la pratique qui crée les étapes. En japonais, on
    dit JU NAN CHIN, c’est-à-dire pratiquer en gardant un esprit
    d’ouverture et une souplesse d’adaptation en toutes circonstances. Si
    la pratique est animée par cet esprit et qu’elle dure suffisamment
    longtemps, on restera vigilant pour en percevoir les nuances et les
    multiples aspects. Sept pas en arrière pour huit pas en avant, telle
    pourrait être exprimée la progression d’un élève sur la voie du BUDO.
    Cependant, les conditions nécessaires à la naissance d’une spiritualité
    sont tout aussi délicates et hasardeuses que celles requises pour la
    naissance d’un enfant… peut-être même plus délicates. Car il est
    hasardeux de dire à l’élève : pratiquez, pratiquez, ça viendra ! Il n’y a
    pas de garantie. Il s’agit plus d’une combinaison de circonstances qui
    vous pousse dans cette direction. Souvent, on reste bon technicien.
    Pour la plupart des gens, une quête spirituelle, la remise en question
    de leur existence par rapport à la mort et à la vie, ne présentent pas
    d’intérêt pratique et immédiat dans leur vie quotidienne et sociale.
    Jusqu’au jour où la motivation devient prépondérante, vitale. Le
    terrain est alors prêt. La première condition est que la personne le
    désire véritablement de tout son Etre, non pas simplement par
    curiosité, mais par une réelle insatisfaction qui lui permet de ressentir
    la futilité de sa vie. Quand ce manque, ce vide, est ressenti, la
    personne n’aura de cesse d’entrer en contact avec une réponse. Mais lnon
    plus, il n’y a pas de garantie. La quête peut très bien avorter si les
    conditions sont mauvaises. C’est le problème des personnes qui sont
    entre les mains de faux maîtres. Mais même une telle expérience peut
    se révéler positive si elle donne naissance au discernement.
    D.B. Certaines personnes, souvent par souci d’authenticité, couplent
    leur pratique corporelle avec une autre technique, voire
    thérapie. Qu’en pensez-vous ?
    Tiki : Ce n’est pas vraiment nécessaire, bien que la voie empruntée par bon
    nombre de gens aille souvent dans pas mal de sens différents. À partir
    du moment où ce que l’on fait est un véritable travail sur soi, la
    diversité, dans le sens d’un dispersement, ne paraît pas souhaitable,
    car c’est souvent par fuite que l’on veut toucher à de multiples
    domaines. Cela se justifie encore moins lorsque l’enseignement reçu
    est valable. C’est souvent par une sorte de matérialisme spirituelle
    qu’une personne exige pour elle-même un traitement de faveur en
    raison de ceci ou de cela.
    De toute façon : « Toutes les pierres qui tombent à la rivière arrivent à
    l’estuaire rondes et polies. ». Proverbe chinois. (rires)

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  • POURQUOI L'ETIQUETTE?


    L'étiquette est l'ensemble des formes cérémonieuses qui marquent les rapports entre les particuliers et qui constituent les règles de comportement et de bienséance à observer dans un cadre donné comme par exemple: la cour d'un monarque, un lieu de culte, une célébration, quelle soit profane ou religieuse, sociale ou privée. Voilà pour ce qui est de sa définition formelle et académique. Il est important de préciser que l'étiquette est en rapport aussi bien avec la structure du groupe ou de la société qui l'a instituée qu'avec son histoire et qu'elle implique nécessairement une expérience existentielle. Mais, comme chacun aura pu le constater, plusieurs scénarios peuvent coexister dans une même culture.

    Dans la culture japonaise, il existe plusieurs termes concernant l'étiquette, savoir: REISHIKI, REIHO, REIGI, REIGI SAHO.

    Tous ces termes sont composés de l'idéogramme REI qui signifie littéralement: salut, salutations.

    SHIKI signifie "cérémonie". REISHIKI pourrait donc se traduire par "le cérémonial".
    HO signifie "loi". REIHO serait donc "l'étiquette" proprement dite puisque s'agissant des lois régissant le "salut".
    REIGI est le terme utilisé par N. Tamura dans son livre: "AIKIDO - étiquette et transmission":

    "REI se traduit simplement par salut. Mais il englobe également les notions de politesse, courtoisie, hiérarchie, respect, gratitude. REIGI (l'étiquette) est l'expression du respect mutuel à l'intérieur de la société. On peut aussi le comprendre comme le moyen de connaître sa position vis à vis de l'autre. On peut donc dire que c'est le moyen de prendre conscience de sa position.

    Le caractère REI est composé de 2 éléments: SHIMESU et YUTAKA.
    shimesu: l'esprit divin descendu habité l'autel
    yutaka: la montagne et le vase sacrificiel de bois qui contient la nourriture: deux épis de riz, le récipient débordant de nourriture, l'abondance.

    Ces deux éléments réunis donnent l'idée d'un autel abondamment pourvu d'offrandes de nourriture, devant lequel on attend la descente du divin… la célébration.

    GI: l'homme et l'ordre. Désigne ce qui est ordre et qui constitue un modèle.

    REIGI est donc à l'origine ce qui gouverne la célébration du sacré. Il est probable que ce sens se soit ensuite étendu aux relations humaines lorsqu'il a fallu instaurer le cérémonial qui régissait les relations hiérarchiques entre les hommes."

    REIGI SAHO pourrait être traduit par: "les règles de l'étiquette", ce qui correspond au sens donné par les dictionnaires occidentaux.

    De façon plus pragmatique, l'on peut dire que l'étiquette constitue un code dont la signification ne peut être perçue que par les initiés, c'est à dire par ceux qui ont acquis les premiers éléments dans la connaissance ou/et la pratique d'une science, d'un art ou d'une pratique donnée. Ce code est la marque d'un groupe particulier ou d'une relation particulière. L'étiquette introduit le novice à la fois dans la communauté des pratiquants (shugyo-sha) et dans le monde des valeurs spirituelles. Elle lui apprend les comportements et l'histoire du groupe, mais aussi ses mythes et ses traditions. L'étiquette raconte pourquoi les choses sont ce qu'elles sont et comment elles nous sont parvenues. Elle raconte l'histoire de tous les évènements qui ont contribué à faire de l'art que l'on pratique ce qu'il est aujourd'hui. Il importe donc de la conserver soigneusement et de la transmettre intacte aux nouvelles générations de pratiquants.

    L'étiquette est constituée d'un ensemble de gestes non utilitaires, non pas qu'ils ne servent à rien, mais plutôt que l'on peut s'en passer. Ce geste n'est matériellement pas rentable et peut même être considéré par certains comme une perte de temps. Son but n'est pas dans l'efficacité immédiate. Il n'est donc pas spontané comme ceux que l'on a constamment dans la vie courante, sans même devoir y penser. Il réclame "vigilance" de la part de celui qui l'exécute et, en ce sens, contribue à développer chez le pratiquant le ZANSHIN (littéralement traduit: l'esprit rémanent ou la présence - ici et maintenant - d'esprit).
    Sa raison d'être ne se situe donc ni dans son utilité, ni dans sa rentabilité, mais dans la gratuité de ce qu'il induit. Il met en jeu une partie du corps (dont notamment les cinq sens) pour permettre à celui qui l'exécute de rassembler (du grec sumballein (assembler) qui dérive de sumbolon: symbole) son esprit à ce qui échappe à ses sens.

    Pour qu'une chose soit bien faite, il faut la faire comme elle a été faite la première fois, s'imprégner de l'état d'esprit qui a prévalu à sa conception et participer ainsi à sa perpétuation. La répétition symbolique du geste implique donc une réactualisation du geste initial et de l'énergie qui l'a créé, avec la même pureté, la même efficience et la même virtualité intacte. En tant que symbole, il est chargé de sens et doit devenir "signe", pour ceux qui le font comme pour ceux qui le voient faire. Il doit être simple, beau, emprunt de sérénité (sans tension ni précipitation), juste et harmonieux.

    La répétition rigoureuse du geste rend possible la tabula rasa sur laquelle viendra s'inscrire les révélations successives du pratiquant, de celles qui pourraient lui ouvrir les portes de l'esprit. (En Iai, par exemple, le geste exécuté par la main gauche sur le sageo pour le placer sous le sabre après s'être assis en seiza; ou en Aikido, au moment du salut des adversaires avant taninzu kakari geiko.)

    L'étiquette ne vit pas uniquement dans une réalité "immédiate". Sa symbolique pourrait s'exprimer en ces termes: qu'on ne devient un pratiquant véritable que dans la mesure où l'on cesse d'être un homme biologique, mécanique. Elle démontre que le vrai pratiquant - le "spirituel" - n'est pas le résultat d'un processus naturel: il se fait. La "fonction" de l'étiquette pourrait donc être de révéler symboliquement au pratiquant le sens profond de l'existence et de l'aider à assumer sa responsabilité d'être un "Homme Totale", pour ainsi participer à l'évolution spirituelle de l'humanité.

    En étudiant et en respectant l'étiquette, on ne perdra pas de vue que le but de la recherche est, au fond, la connaissance de l'homme, de soi. Aussi, l'étiquette constitue-t-elle une démarche, une expérience essentielle dans la progression du pratiquant s'il veut pénétrer le message ultime du BUDO, c'est à dire devenir capable d'assumer pleinement son mode d'être.

    Mais à bien y regarder, l'étiquette n'est sclérosée qu'en apparence. Et si l'on se contente aujourd'hui d'imiter à l'infini les gestes transmis, on ne peut ignorer les innombrables transformations dont l'étiquette a bénéficié au cours de son histoire.

     

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    L'ETIQUETTE - COMMENT?


    "Le caractère des hommes ne se montre jamais mieux que dans les choses qui paraissent indifférentes."
    (Proverbe du monde)

    Il serait prétentieux de vouloir dresser une liste exhaustive de l'ensemble des règles de l'étiquette. De surcroît, certaines de ces règles peuvent différer d'un pays à l'autre, ou plus précisément d'une culture à l'autre. Ainsi, au Japon, il est inconcevable de plier son hakama sur le tatami alors que cette façon de procéder semble avoir été adoptée dans tous les autres pays du globe. L'étiquette, cependant, exige que le pratiquant ne plie pas son hakama dos au kamiza. Cet exemple illustre à quel point les règles de l'étiquette ne sont pas gravées dans la pierre et doivent nécessairement s'adapter, notamment lorsqu'elles sont issues d'une culture différente de la sienne. Si en Aikido les règles de l'étiquette semblent relativement uniformes, il n'en est pas de même de disciplines martiales telles que, par exemple, l'Iai où l'étiquette peut varier d'une école à l'autre au point de paraître contradictoire, notamment la position du sabre lors du salut au kamisa ou au sabre lui-même. Dans un domaine plus religieux, le signe de croix n'est pas exécuté de la même façon par les Catholiques, les orthodoxes, les Protestants, les Nestoriens, les Coptes, les Jacobistes et autres. Mais tous, sans exception, font un signe qui symbolise la croix et la passion du Christ.

    Ces différences, en apparence discordantes, démontrent à la fois la diversité et la cohérence de la nature humaine. Elles justifient la multiplicité des formes et confirment l'universalité des principes. A ce stade, il est intéressant de relever l'étrange homonymie entre les mots éthique et étiquette (à tel point qu'il ne serait pas choquant d'écrire "l'éthiquette" de cette façon). En effet, ne concerne-t-elle pas les règles de conduite, la morale?

    Il n'est pas dans notre intention d'inventorier et répertorier les multiples règles de l'étiquette martiale à travers les âges et les cultures. L'idée n'est pas inintéressante mais déborde largement le cadre de cet exposé. Elle permettrait en revanche de mesurer à quel point nos comportements sont conditionnés par nos rapports avec l'autre et les divers modes de prévenir les conflits. Mesurer, par exemple, que la prohibition du port d'armes a permis de se saluer en se serrant la main, ce qui était parfaitement inconcevable avant. Comprendre que le geste de trinquer était conditionné par le fait que le mélange des liquides au moment où les verres s'entrechoquaient permettait de s'assurer qu'aucun poison n'avait été versé dans l'un d'entre eux. Ainsi, bon nombre des gestes encore utilisés de nos jours dans nos comportements relationnels étaient à l'origine conditionnés par la nécessité de rester vigilant en toutes circonstances, c'est-à-dire en état d'éveil permanent. A fortiori, cette vigilance s'adressait-elle en premier lieu à ceux qui avaient choisi le métier des armes et pour lesquels la moindre faute d'inattention pouvait être fatale.

    Aussi, cet exposé se bornera à énoncer quelques principes de base qui devraient permettre au pratiquant de se repérer et, surtout, de comprendre que l'étiquette est plus affaire de conscience que de connaissance.

    Fidèle à la didactique du budo classique japonais, nous proposons d'aborder le "comment?" sous la forme tandoku renshu (travail seul), sotai renshu (travail à deux) et tameshi giri (exercice de coupe) que nous transposons de la façon suivante:

    -l'étiquette par rapport à soi-même,
    -l'étiquette par rapport aux autres pratiquants et au dojo,
    -l'étiquette par rapport à l'autre et à la société.

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  • Le rôle de l'UKE en AIKIDO

    l'annuaire des sports en tunisie

    http://www.lannuairesport.com

     

    UKE, celui qui chute dans la pratique d'AIKIDO, par opposition à TORI qui exécute la technique, joue un rôle essentiel dans la didactique martiale en général et japonaise en particulier, tout du moins pour ce qui concerne les disciplines qui enseignent les formes de combat face à face à un adversaire. La cible n'a pas moins de valeur en KYUDO, par exemple, mais ne remplit pas les mêmes critères. Ce rôle est bien souvent méconnu ou mal compris, pour ne pas dire déconsidéré, par bon nombre de pratiquants notamment en raison de la fonction passive qu'on lui attribue injustement. Cet article se propose d'analyser ce rôle, sous tous ses aspects, et ainsi permettre au shugyo-sha d'y puiser les éléments susceptibles d'orienter son travail vers une meilleure compréhension de sa ou ses pratiques. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre et d'analyser les raisons qui pourraient justifier cet apparent manque d'intérêt. Puis nous aborderons les différents sens attachés à cet aspect de la pratique. Enfin, nous dégagerons quelques moyens utiles et pratiques pour améliorer notre propre technique à ce sujet. L'un des principaux facteurs qui contribue à mésestimer le rôle d'UKE est d'ordre psychologique , notamment dans les techniques corps à corps, savoir: la peur liée à la chute. Cette peur trouve vraisemblablement son origine dans l'inconscient attaché à l'évolution de l'espèce humaine en général et de chaque individu en particulier, lorsqu'il fait ses premiers pas. Il est communément admis, en effet, que l'espèce humaine est née le jour où un animal s'est dressé sur ses membres inférieurs pour adopter la position verticale. On peut facilement imaginer que cette mutation ne s'est pas réalisée sans douleur et il suffit d'observer, à défaut de se rappeler, les pénibles expériences du bébé lorsqu'il passe de la position couchée à la position assise, puis à quatre pattes pour finalement parvenir laborieusement, par imitation, à se dresser sur ses jambes. Combien de chutes, de plaies, de bosses n'ont-elles pas été durement expérimentées à cette époque de la vie? Elles restent inévitablement gravées dans notre mémoire pour ne laisser subsister qu'une peur viscérale de la chute. Dès lors, l'apprentissage de la chute à un âge où tous les facteurs génétiques liés à l'une des spécificités de notre espèce se sont définitivement établis, revient à entreprendre le même processus à l'envers, ce que l'inconscient refuse d'accepter. Il suffit, pour s'en convaincre, de relever les diverses locutions verbales utilisées dans toutes les langues pour exprimer cette peur. Ne parle t'on pas, en effet: de la chute d'un empire, d'une monarchie, d'un régime, d'un gouvernement; de la chute d'une monnaie, des cours de la bourse; de la chute de tension, de température, des cheveux; d'une chute d'eau, de neige, de pluie; de la chute du jour, ne dit-on pas: tomber dans les pommes, des nues, de Charybde en Scylla, etc… sauter dans l'inconnu, Qui n'a pas entendu sa mère lui dire: «Fais attention à ne pas tomber, tu vas te faire mal!», ou encore: «A force de faire le fou, tu vas finir par tomber!», sous-entendu «te faire mal!». Il semble donc que la chute soit associée, dans l'inconscient collectif, à la douleur, au déclin, au manque, à une déchéance, à une perte d'équilibre physique, mental et social . Il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, que l'homme s'en défie instinctivement. Car il s'agit bien d'un défi, puisqu'en entreprenant l'apprentissage de la chute, le pratiquant va à la rencontre de l'une des peurs inscrites dans ses gènes. Parallèlement à ces peurs liées à ce que l'on pourrait appeler l'inconscient de l'espèce, existent d'autres peurs, plus subjectives, plus personnelles. En effet, il y a un monde entre tomber tout seul , par maladresse, par faiblesse temporaire, par inadvertance, et se faire chuter (on dit plutôt se faire projeter ). Ce monde est l'autre et la confiance relative qu'on lui accorde. Car UKE ne se limite pas à l'UKEMI (communément traduit par chute). Il y a, de fait, une part d'inconnu dans le fait de se placer dans une situation de complet abandon, physiquement et psychologiquement. En cela, on peut abonder dans le sens de ceux qui n'accordent à UKE que le seul droit de mourir. Chuter, c'est effectivement mourir un peu, ou tout du moins avoir la possibilité d'en prendre conscience et d'en accepter l'éventualité. Malheureusement, la mauvaise compréhension du rôle d'UKE, alliée à une certaine rigidité physique - que n'améliore pas les conditions de la vie moderne -, aux hiatus techniques de TORI et sa difficulté à réaliser une technique juste, n'incite pas le pratiquant à renouveler l'expérience de sa propre mort suffisamment souvent pour y trouver autre chose qu'un "mauvais moment à passer"! On ne peut, par ailleurs, passer sous silence le rôle que peut jouer l'ego dans cette situation. En effet, en AIKIDO, en JUDO, en KARATE-DO, UKE est celui qui «perd", par opposition à TORI qui le terrasse ou qui, du moins, tente de le faire. En effet, lorsque deux êtres, deux animaux, deux insectes, sont amenés à combattre, pour quelques raisons que ce soit: la prédominance du mâle au sein du groupe, la défense de son territoire, de ses petits, de son honneur -, ils cherchent mutuellement à se faire tomber, à faire perdre l'équilibre à l'autre, et le combat cesse, tout du moins dans le monde animal, quand l'un des deux tombe à terre. Ce système de combat prévaut encore actuellement dans le SUMO, par exemple. Dans le cadre d'un entraînement, bien souvent, la chute peut paraître dévalorisante, pour le pratiquant lui-même comme pour le spectateur néophyte. Il est certes plus gratifiant de s'entendre dire: "Dis donc, qu'est ce que tu lui as mis à ton UKE!" plutôt que: "Tu ne tiens pas debout, mon vieux! Qu'est-ce qui t'a mis!". En fait, la réalité est tout autre, ou devrait être tout autre. En AIKI-KEN, par exemple, c'est UKE qui "domine" puisqu'il conserve le centre à chaque instant, avant, pendant et après la ou les attaques d'UCHI. Ceci constitue d'ailleurs une spécificité du travail d'AIKI aux armes, qui n'existe pas dans les autres BUDO avec armes tels que le KEN-JUTSU ou le JO-DO, par exemple. Dans les disciplines classiques, UKE est celui qui "perd". C'est l'une des raisons pour lesquelles ce rôle est normalement joué par un instructeur, voire par l'enseignant lui-même. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette notion par la suite car, bien entendu, le travail sur le tatami ne se résume à gagner ou perdre. De ce qui précède, on peut donc déduire que la peur viscérale liée à la chute génère un certain blocage physique, ou pour le moins une réticence, en relation avec notre inconscient collectif et notre mémoire. Mais on ne pourrait pas moins considérer que le déséquilibre soit à l'origine de cette peur. De fait, il est aux lois physiques ce que la peur est aux facteurs psychologiques, c'est à dire la cause de la chute, qu'elle soit physique, mentale ou sociale. En effet, nous l'avons vu, l'espèce humaine est née le jour où elle s'est dressée sur ses membres inférieurs, c'est à dire qu'elle est passée d'une position parfaitement stable, que lui assurait ses quatre points d'appui, à une position de recherche perpétuelle d'équilibre – ou de constant déséquilibre - l'obligeant à développer une morphologie qui, aussi parfaite soit-elle, n'en est pas moins insuffisante pour le garantir sans risque. Le kangourou, par exemple, qui se déplace également sur ses deux membres inférieurs, dispose d'une queue, c'est à dire du troisième point d'appui qui lui assure une parfaite stabilité. L'état de perpétuel déséquilibre ou d'équilibre précaire de l'homme, qui résulte de son choix d'avoir adopté la position verticale, ne l'a peut-être pas seulement rendu instable physiquement mais également psychologiquement. En se dressant sur ses membres inférieurs, il a de facto généré une situation qui lui fait craindre à tout instant de tomber. Quel est le réflexe d'un homme n'ayant pas appris à chuter lorsqu'il tombe? Il cherche mécaniquement à mettre ses mains pour amortir sa chute, c'est à dire qu'il utilise instinctivement ses membres supérieurs. Il ne lui vient pas naturellement à l'idée de rouler.

    Nebi.jpg

    Il n'est donc pas moins vrai que cet état de perpétuel déséquilibre génère chez l'homme une peur inconsciente, celle de perdre l'équilibre si chèrement acquis et de tomber. Mais la question n'est pas de savoir aujourd'hui qui de la poule ou de l'œuf est arrivé le premier, mais de mesurer à quel point la chute n'est pas inscrite dans les gènes de la nature humaine. De ce fait, l'homme n'est pas naturellement disposé à en faire l'expérience ou l'apprentissage. Le deuxième facteur qui contribue à déconsidérer le rôle d'UKE est d'ordre physique et physiologique . En effet, qui peut prétendre chuter par ou avec plaisir? La chute, même "maîtrisée", reste douloureuse, et ne manque pas de laisser des séquelles irréversibles au corps, dont la fameuse "touche de piano". De ce point de vue, le fait d'aborder la chute à un âge où le corps n'est pas encore musculairement formé, c'est à dire avant 25 ans en moyenne, peut présenter un avantage certain. Il n'est donc pas étonnant que la propension à chuter diminue proportionnellement à l'âge. Mais fort heureusement, nous le verrons par la suite, la chute n'est qu'un aspect de la notion d'UKE, certes le plus éprouvant physiquement. En revanche et paradoxalement, la chute aide à façonner le corps nécessaire à la réalisation de la technique suivant les critères biomécaniques propres à l'AIKIDO. On pourrait même dire qu'il constitue le seul entraînement à sa disposition pour éduquer les muscles, tendons et autres ligaments indispensables. La préparation des débuts de cours n'y suffit pas, aussi complète soit-elle, tout juste permet-elle d'éviter des raideurs inutiles, un peu comme on s'étire le matin au réveil pour stimuler le corps. D'autre part, il est nécessaire de disposer de ses pleines capacités physiques pour espérer réaliser une chute sans trop de dommages. Des douleurs chroniques, notamment au niveau de la colonne vertébrale, ou des malformations congénitales peuvent handicaper le pratiquant dans la réalisation de la technique d'UKEMI proprement dite, et ce indépendamment des facteurs psychologiques qui y sont immanquablement associés. De même, les chevilles jouent un rôle fondamental dans la chute puisque le principe de base de l'UKEMI est de réduire au maximum sa hauteur par rapport au sol avant de "tomber". En biomécanique, cette fonction est assurée par les chevilles. La position "assise accroupie" chère au monde oriental et moyen-oriental, ainsi qu'aux cow-boys devant le feu de camp en rase campagne, permet de s'assurer que les chevilles possèdent la souplesse nécessaire. Enfin, la chute est étroitement liée au souffle et il semble difficile de ne pas soutenir que tomber est plus épuisant que projeter. A plus d'un titre, la chute peut s'apparenter à une course de fond et parfois, en raison du rythme imposé par TORI, à une course de vitesse. De fait, le cœur et le système pulmonaire sont grandement sollicités et requièrent une bonne constitution. De surcroît, beaucoup de pratiquants dissocient la chute et la remise sur pieds en position verticale. Ils tombent d'abord et se relèvent ensuite. Ils n'utilisent donc pas la dynamique de leur chute pour se relever, ce qui nécessite plus d'efforts de leur part et contribue à les essouffler davantage. Ainsi, à son corps défendant, si l'on peut dire, l'homme n'est naturellement pas disposé à tomber. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait quelques réticences à en faire l'apprentissage. Pourtant, c'est en maîtrisant, autant que faire se peut, sa propre chute, c'est à dire son propre déséquilibre, qu'il parviendra à reconnaître et contrôler cette peur viscérale et à utiliser la loi de la gravitation indispensable à la réalisation de la technique martiale. En effet, comment pourrait-on espérer déséquilibrer un adversaire si l'on n'a pas soi-même expérimenté les lois de l'équilibre sur son propre corps? Or, le principe de base des techniques d'AIKIDO ou de JUDO vise à utiliser la dynamique - l'énergie - d'une attaque pour entraîner l'adversaire dans son propre déséquilibre. L'on pourrait donc dire que l'apprentissage de la chute par UKE est à la recherche d'équilibre ce que l'apprentissage de la technique par TORI est à la recherche du déséquilibre. Ces deux aspects de la pratique semblent donc indissociablement liés, comme le positif et le négatif, le ying et le yang. Et ce n'est qu'à cette condition qu'AIKI pourra se manifester. Il est intéressant de constater, à ce sujet, que par un juste partage des rôles, la moitié du temps passée à la pratique est consacrée à jouer celui d'UKE et que la moitié – environ et dans des conditions idéales - de cette part à faire UKEMI. Or, force est de constater que l'apprentissage du rôle d'UKE se limite bien souvent à la seule chute, au seul UKEMI, c'est à dire "comment tomber sans se faire mal", et se résume à la chute avant, arrière et parfois latérale. Ceci équivaut à limiter l'apprentissage de l'écriture à: "comment tenir son stylo", ou l'apprentissage de la natation à: "comment ne pas boire la tasse". Non pas que ce soit inutile, loin s'en faut, c'est même indispensable mais insuffisant pour écrire ou nager. Les nombreux ouvrages relatifs à l'AIKIDO traitent des chutes de façon par trop laconique et pour la plupart ignorent totalement le rôle d'UKE. Aussi, nous nous permettons d'emprunter à Franck Noël, dans son livre: "AIKIDO: fragments d'un dialogue à deux inconnues" cette approche à la fois diserte et expressive de la chute: "La chute, en AIKIDO, est tout sauf une déchéance. Elle revêt une dimension utilitaire, symbolique, magique, héroïque, rythmique et esthétique à la fois. En tant qu'exploration systématique de tous les modes de contact possibles avec le sol, elle va prendre des formes diverses: roulades, glissades, rebonds, voire aplatissages… Le sol, que nous ne pensions qu'à piétiner sans remords ni d'ailleurs sans plaisir, se pose soudain comme le partenaire de longues conversations, comme l'interlocuteur de négociations serrées, difficiles, dans lesquelles il faut confronter tous les points de vue, tenir compte des exigences et faire des concessions." Aussi, nous encourageons le pratiquant à chuter aussi longtemps que son corps le lui permet et à ne jamais interrompre cette douloureuse, mais ô combien instructive, négociation avec l'élément "terre". Mais le concept d'UKE va au-delà de l'apprentissage de la chute qui n'est, pour UKE comme pour TORI, qu'une part du mouvement, sa fin, son dénouement, son apothéose, comme l'orgasme l'est au coït. Et chacun s'accorde d'ailleurs à penser qu'il en constitue le meilleur moment: pour TORI la satisfaction du résultat obtenu, pour UKE celle de s'être relevé et pour les deux celle de pouvoir recommencer. Mais à ce niveau également, ce moment si exaltant dépendra de la "mise en place", des "préliminaires" en quelque sorte, et pour UKE de sa capacité à tenir, car beaucoup reste des "éjaculateurs précoces". En AIKIDO, il ne peut en effet y avoir de chute sans attaque et ce rôle revient de fait à UKE. Hélas, bien souvent, par peur ou par ignorance, l'attaque est rarement ce qu'elle devrait être et le pratiquant se retrouve aussi gauche dans son attaque qu'un enfant sur un terrain de foot quand il reçoit le ballon qu'il n'a pas demandé: il s'en débarrasse. En AIKIDO, la saisie est le moyen éducatif mis à la disposition du pratiquant pour lui permettre d'apprendre et comprendre physiquement, intellectuellement et émotionnellement les principes qui sous-tendent sa pratique et qui constituent, à proprement parler, l'essence de cet art martial. Physiquement parce qu'il est tenu ou qu'il tient - selon qu'il est TORI ou UKE -, intellectuellement parce qu'il doit reconnaître et ordonner, au travers de cette saisie, les lois et principes à mettre en place pour s'en défaire ou la maintenir, et émotionnellement parce qu'elle représente, en finalité, une attaque censée l'abattre. C'est à ce niveau que se situe la principale ambiguïté de la pratique d'AIKIDO. En effet, la saisie n'est pas une attaque en soi, mais un simulacre d'attaque. Martialement parlant, elle ne saurait, tout au plus, que s'apparenter à une menace dissuasive, voire une tentative de contrôle, ou n'être que le prélude d'une attaque plus définitive, telle un atemi, un coup de boule, ou autres. Cependant, une attaque, quelle qu'elle soit: saisie, coup de poings, de pieds, de bâtons, de couteaux, flèche, balle, missile, est toujours constituée d'une direction, d'une dynamique – force, vitesse ou énergie suivant la conception qu'on en a – et d'une distance. Dans la terminologie martiale, ce concept est appelé MA-AI: l'espace-temps. Qu'on lance un missile ou un coup de poing, l'objectif à atteindre nécessite la mise en oeuvre de ces trois facteurs. Le résultat, bien entendu, dépendra des capacités de destruction de l'arme utilisée. Mais, curieusement, plus elle sera destructrice, plus ses effets seront difficilement contrôlables. Bien souvent, les moyens mis en œuvre sont disproportionnés par rapport à l'objectif à atteindre. Ce constat s'applique aussi bien à la dernière guerre en Irak, qui a laissé l'impression "d'un éléphant pour écraser une souris", qu'à une coupe au sabre ou la saisie d'un poignet. Il paraît donc indispensable, pour tenter de comprendre le rôle d'UKE à ce niveau, de ne pas envisager la saisie comme une attaque au sens réel du terme, mais plutôt comme ce que l'esquisse est au peintre, l'épure à l'architecte, la trame au tisserand. Elle est le schéma, le linéament, l'ébauche avec lequel l'artisan-pratiquant pourra, à l'aide des outils que l'AIKIDO met à sa disposition, travailler et donner forme au mouvement, l'améliorer, l'ajuster sans cesse. Plus l'ébauche sera grossière, plus ardue sera la tâche de TORI pour parvenir au produit fini. A contrario, plus l'ébauche s'en rapprochera, plus le travail de TORI s'en trouvera facilité, meilleure et plus rapide sera sa compréhension du mouvement juste et de son exécution. Que l'on se rassure cependant, la didactique de l'AIKIDO comporte dans son curriculum des attaques qui tentent de se rapprocher, autant que faire se peut, de la réalité, savoir: shomen, yokomen, tsuki et les attaques avec armes, pour les plus courants. Mais également à ce niveau, il existe un monde entre une attaque sur le tatami et une attaque "réelle", c'est à dire une attaque qui menace réellement notre vie et qui laisse entrevoir sa possible fin. Personne ne souhaite, d'ailleurs, vivre une telle expérience, à moins d'avoir un tempérament suicidaire. Il est ridicule, quelque part, de croire le contraire, tant au niveau d'UKE que de TORI. Personne ne vient dans le dojo pour tuer quiconque, même si la pratique impose d'y croire. N'en déplaise aux nostalgiques, il n'existe aucune tolérance de perte dans un dojo, comme cela a pu exister dans les RYU à une époque où il s'agissait d'apprendre le métier des armes. Dans le cas contraire, son auteur serait traduit devant les tribunaux et inculpé d'homicide volontaire ou involontaire. Il pourra toujours plaider qu'il pratique les arts martiaux et convaincre les jurés que cette étude comporte une part de risques! Pour clore ce chapitre sur l'attaque en AIKIDO, ce qu'elle n'est pas mais ce qu'elle représente, nous nous permettons une nouvelle fois d'emprunter à Franck Noël une citation de son livre : "Elle (l'attaque) est un des termes du dialogue par lequel l'AIKIDO engage ses adeptes à communiquer; il leur incombe de l'élaborer en même temps qu'ils l'utilisent. Comme dans toute rhétorique véritable, les questions sollicitent des réponses, mais ces éléments de réponses amènent les questions à préciser. Pertinence des unes et adéquation des autres sortiront renforcées de cet échange." Avant d'envisager quelques suggestions utiles et pratiques pour améliorer notre compréhension du rôle d'UKE, il n'est pas inutile de dégager les quelques idées développées jusqu'à présent: De son choix d'avoir adopté la position verticale au cours de son évolution, l'homme n'est pas prédisposé à faire l'apprentissage de sa propre chute en raison des facteurs psychophysiologiques qui y sont, consciemment ou inconsciemment, rattachés et notamment la perte d'équilibre. L'apprentissage de la chute permet d'entrer dans des peurs viscérales liées à notre nature humaine et de former physiologiquement le corps nécessaire à l'exécution des techniques d'AIKIDO. La chute, même "maîtrisée", reste douloureuse et éprouvante. UKE ne se limite pas au seul UKEMI. Il est à la recherche d'équilibre ce que l'apprentissage de la technique par TORI est au déséquilibre. La saisie n'est pas une attaque au sens réel. Elle est son ébauche. Elle est le moyen éducatif mis à la disposition du pratiquant (UKE et TORI) pour lui permettre d'apprendre et comprendre physiquement, intellectuellement et émotionnellement les principes qui sous-tendent sa pratique. Dans le cadre du dojo, une attaque n'est pas portée dans le but d'attenter à la vie de TORI ou de lui nuire, même si la pratique impose d'y croire. La question reste donc de savoir comment UKE doit se comporter pour remplir son rôle. Mais peut-être conviendrait-il, dans un premier temps, de préciser quel est ce rôle? A plus d'un titre, UKE doit se comporter comme un père avec son enfant. C'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle ce rôle devrait être joué par un avancé, c'est à dire un pratiquant parvenu à maturité. C'est une situation avérée dans les BUDO classiques qui utilisent des armes. En effet, on ne manipule pas une arme, même en bois, comme une saisie ou une main. Dans la plupart des traditions orientales, la vie humaine se déroule par période de 7 ans. Un dicton japonais recommande d'ailleurs: "Jusqu'à 7 ans, sert ton enfant comme un prince, après sert-en comme d'un esclave.". Ceux qui ont la chance d'avoir éduqué leur(s) enfant(s) comprendront facilement de quoi il s'agit. Durant le difficile passage de la position assise à la position verticale, l'enfant a besoin de ses parents. C'est donc leur rôle de l'assister tout au long de cet apprentissage. Dans un premier temps, ils l'aident à se tenir debout en lui tendant des bras accueillants pour l'inciter à se lever et le rassurer, prennent garde à réduire ses chutes au maximum ou pour le moins s'assurent qu'il ne risque pas de se faire mal ou "trop" mal, car ils savent que les chutes et les bosses gardent une valeur éducative. Puis, quand il parvient fébrilement à se tenir debout, en s'agrippant à eux ou aux meubles, ils l'aident patiemment à faire ses premiers pas en lui prêtant leurs doigts, s'harmonisent à son rythme, calquent leurs pas sur les siens, en un mot consacrent le temps nécessaire au bon déroulement de cette expérience unique dans les meilleures conditions possibles. Ensuite, quand il s'aventure à abandonner cette protection rassurante en lâchant une main, puis l'autre, pour se lancer seul sur ses deux jambes de ses pas hésitants et instables, ils l'accompagnent, prêts à intervenir au moindre déséquilibre, à le soutenir en cas de défaillance et ne manquent jamais de l'encourager par des paroles réconfortantes. Enfin, il marche. Puis il court, il saute des marches, une, puis deux. Après viennent les patins à roulettes, le vélo, le foot et tant d'autres choses que les parents ne manqueront pas de s'enthousiasmer à lui montrer, et ce durant sept années. Mais que sont, au juste, 7 années de la vie d'un AIKIDO-KA? A ce niveau également subsiste une certaine ambiguïté. Sept années à raison de deux cours de deux heures par semaine sont une chose, sept années à raison d'un cours de deux heures par jour une autre chose. Dans le premier cas, elles représentent environ 1450 heures, dans le second plus de 5000 heures, soit 3 fois plus. En matière d'aéronautique, par exemple, seul est pris en compte le nombre d'heures de vol pour déterminer les aptitudes d'un pilote. En AIKIDO, cette imprécision est à l'origine de multiples méprises sur la qualité, les aptitudes et la valeur des uns et des autres. En général, les pratiquants mettent plus volontiers en avant leur nombre d'années de pratique et restent discret sur leurs heures de vol. Mais peut-on normaliser cette situation? La meilleure formule consisterait à se calquer sur la pratique des UCHI-DESHI de O'SENSEI. Lorsque Maître TAMURA est arrivé en France, il avait environ 12 années d'ancienneté…, mais combien d'heures de pratique? La seule raison pour laquelle nous mettons cette ambiguïté en évidence est de permettre au pratiquant de réaliser que les 7 premières années de la vie d'un aïkido-ka sont à mesurer en heures plus qu'en années de pratique et ainsi comprendre que la première enfance peut durer beaucoup plus longtemps pour une grande majorité de pratiquants. Autrement dit, UKE devra conserver à leur égard les mêmes prédispositions qu'un père pour son enfant. Dans l'échelle de mesure proposée ci-dessus, la fin de la première période de 7 années pourrait correspondre au grade de YONDAN, censé sanctionner la fin de l'apprentissage de la technique. Le pratiquant parvenu à ce stade en a fait le tour - en long, en large et en travers -, il est rompu à toutes ses spécificités, comme le pianiste possède la technicité des 10 doigts et du pédalier de son piano. Il est capable de jouer sans difficulté les grandes pièces du répertoire. Il peut désormais commencer à interpréter la musique, mais il ne possède pas encore SA musique. Dès lors, à quoi bon tenir dur ou fort, à quoi bon tester quand le partenaire ne sait pas encore marcher seul? Que penserions-nous d'un père qui considérerait que son enfant sait marcher à partir du moment où il se tient debout, qui déciderait donc de ne pas lui offrir ses doigts mais lui saisirait la main, lui imposerait son rythme, ses enjambées, le réprimandait s'il ne suit pas? Il est fort à parier que cet enfant ne devienne un attardé. En reprenant le parallèle entre le pratiquant d'AIKIDO et l'enfant durant les 7 premières années de sa vie, on pourrait considérer que la position debout correspond à l'apprentissage de l'UKEMI et la marche à celui de la technique, aussi bien en tant que TORI qu'UKE puisque, comme nous l'avons vu, ces deux aspects sont indissociables de la pratique. Une autre incompréhension du rôle d'UKE réside dans le fait que, dans la plupart des cas, UKE ne sait pas plus marcher que TORI, ou à peine mieux, voire moins. En revanche et paradoxalement, du fait qu'il lui appartient d'attaquer, il a loisir de fausser le jeu en n'offrant pas à TORI la saisie dont il a besoin pour comprendre et réaliser la technique. On a trop disserté à propos de la "complaisance" d'UKE. Beaucoup, trop nombreux, considère en effet qu'ils n'ont pas de raisons de chuter si le mouvement exécuté ne les y oblige pas, ne les y entraîne pas. Ils sont ce qu'on pourrait appeler les absolutistes, les: "Christ, puisque tu es Christ, descends donc de ta croix!", ou autrement dit "Puisque tu dois me faire chuter, montre-moi que tu en es capable!". Si l'on veut bien considérer, pour les besoins de la démonstration, que ce comportement soit dicté par des soucis d'ordre pédagogique, il peut sembler utopique d'attendre de la part d'un pratiquant qui ne sait pas encore marcher seul, ou à peine, qu'il réalise un mouvement imparable, ou gagne les 100 mètres aux jeux olympiques! Il n'est pas moins présomptueux d'exiger que TORI marche quand on se tient à peine debout soi-même. Bien souvent, cette attitude n'est dictée que par le souci de se ménager car, comme nous l'avons vu, la chute, même "maîtrisée", reste pénible et douloureuse. Aussi, sous prétexte de ne pas être complaisant avec TORI, on finit par être complaisant envers soi-même. Dans bien des cas, malheureusement, il s'agit plus d'une manifestation de l'ego que d'une véritable vocation pédagogique, dans ce sens où contrarier la réalisation de la technique permet de se rassurer sur sa propre incapacité à la réaliser soi-même. Ils pensent: "Je n'y parviens pas, mais il n'y parvient pas non plus!… et je ne fais rien qui puisse lui permettre d'y parvenir.". Ce comportement, quelque peu stérile, empoisonne littéralement la pratique sur les tatamis. En effet, il s'apparente à une ingérence du rôle d'UKE sur celui de TORI: c'est exiger de lui qu'il fasse correctement sa part de travail pour accepter de faire la sienne. Or, il entre dans le rôle et la fonction d'UKE de faire le premier pas en créant les conditions favorables, en proposant l'ébauche la plus affinée. En effet, pour aider son enfant à marcher, on ne lui fait pas traverser un champ de mines, on ne sème pas d'obstacles son parcours, on ne leste pas ses pieds avec des chaussures en plomb. Bien au contraire, on dégage le terrain, on éloigne les obstacles et on lui enfile des chaussures adaptées à la marche. Par ailleurs et de surcroît, ils se privent eux-mêmes de la part de pratique dont leur corps a besoin pour se former: refuser de tomber est une chute définitivement perdue. N'est-ce pas en forgeant que l'on devient forgeron? Dès lors, il appartient à UKE de faire consciencieusement son travail et à TORI le sien, indépendamment mais ensemble. Cette notion s'appelle: AWASE. En y regardant de plus près, cette dernière proposition peut paraître foncièrement égoïste. Elle l'est effectivement. "Connais-toi toi-même et tu connaîtras les autres." pourrait donc se traduire en termes de pratique AIKIDO: "Connais la chute et tu connaîtras le mouvement". Il importe donc peu pour UKE, quelque part, que TORI parvienne ou non à réaliser la technique juste, pourvu que son embryon de mouvement lui permette de chuter et d'apprendre à son corps les lois de l'équilibre et du déséquilibre. Les pratiquants qui comptent un certain nombre d'années d'expérience savent combien il est difficile de réaliser une technique sur un débutant qui n'a que quelques heures de pratique. A contrario, il n'est pas moins difficile et instructif de parvenir à chuter, c'est à dire à faire en sorte que la technique s'approche au plus près de ce qu'elle devrait être, avec quelqu'un qui ne possède pas encore toutes les clés lui permettant de la réaliser correctement. Mais toutes ces digressions ne disent pas ce que doit être une saisie. Tout au plus, les quelques idées développées ci-dessus ont-elles permis de mieux cerner quel devrait être le rôle d'UKE. Une saisie doit-elle être dure, molle, puissante, forte, solide, souple, rapide, énergique, passive? En fait, la question n'est pas là. Si l'enseignant demande un travail KOTAI, elle sera puissante et solide. S'il demande JUTAI, elle sera souple et énergique. Dans tous les cas et durant toutes les tentatives de TORI pour réaliser la technique, UKE doit, autant que faire se peut - à l'impossible nul n'est "tenu" - et dans les limites de la biomécanique s'entend, maintenir sa saisie et ne pas contrarier le mouvement, même s'il n'est pas "juste", pour ne lâcher qu'au moment où il est entraîné dans sa chute et finalement se relever. Si TORI travaille avec ses bras, UKE reproduit son mouvement avec les siens. S'il pousse, il recule; s'il tire, il avance, etc… UKE doit, en quelque sorte, devenir le miroir de TORI, devenir ce que la photo est au négatif: son révélateur. Idéalement, il doit reproduire le résultat et les effets réels du mouvement de TORI, un peu comme le sketch des 2 clowns avec le miroir cassé. Ce n'est qu'ainsi que TORI parviendra à voir et comprendre ce qu'il fait et qu'UKE développera la souplesse du corps et de l'esprit indispensable à la compréhension des principes de l'AIKIDO. Ces quelques suggestions n'ont pas la prétention d'épuiser le sujet, ni d'apporter de solutions miracles. Le rôle d'UKE s'expérimente et s'affine sur le tatami avant tout. Notre souhait est qu'elles apportent une contribution, un éclairage à cet autre aspect de la pratique, trop souvent déconsidéré. Cet article est une tentative d'engager les pratiquants à communiquer et élaborer ensemble ce dialogue à deux inconnus : FAIRE DE DEUX: UN. Pour y parvenir, il est indispensable de connaître et posséder le rôle de chacun d'eux. Pour conclure, nous rappellerons qu'UKE dérive du verbe UKERU qui signifie: RECEVOIR. Mais pour recevoir, il faut donner. UKE, par sa saisie, son attaque, doit faire le don de son énergie, son corps, sa compréhension, sa disponibilité, son expérience (aussi infime soit-elle), sa sensibilité et met symboliquement sa vie entre les mains de TORI pour lui permettre de réaliser AIKI, l'UNITÉ. Mais le pratiquant ne pourra espérer atteindre le TAO que s'il accepte d'explorer ces 2 éléments indissociables de la pratique: TORI et UKE, qui composent et constituent la technique de l'AIKIDO. Daniel Leclerc

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